Première Guerre Mondiale
Daniel Wrinn
« Des histoires stupéfiantes qui ensemble, tissent les principaux fronts de la Première Guerre mondiale dans un récit épique ».
─ La Grande Guerre a entraîné la mutilation ou la mort de millions de civils et de soldats. Suivez les traces des militaires britanniques, allemands et américains qui détaillent la vie et les combats de la guerre dans un pays étrange et étranger.
Découvrez leurs histoires fascinantes et réalistes de combat, de courage et de détresse dans des récits sensibles et équilibrés racontés depuis les lignes du front.
Première Guerre Mondiale
Great War Series
Daniel Wrinn and Sophie Slonka
Published by Tektime, 2021.
While every precaution has been taken in the preparation of this book, the publisher assumes no responsibility for errors or omissions, or for damages resulting from the use of the information contained herein.
PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
First edition. April 16, 2021.
Copyright © 2021 Daniel Wrinn and Sophie Slonka.
Written by Daniel Wrinn and Sophie Slonka.
10 9 8 7 6 5 4 3 2 1
Table des Matières
Introduction (#uf8e9494b-5310-5eab-92a8-e06d096df212)
La légende des Anges de Mons (#u8a6df253-9491-5243-859e-255010446fbe)
Noël dans les tranchées (#ud94c6a42-6ffa-5147-8461-fa7fde502675)
Le raid des Zeppelins sur Londres (#uab53f6a8-4e0e-59ea-ac84-9f691bcd74f2)
La bataille du Jutland (#u770f63da-1527-553a-84c5-98dd570484fd)
L’hécatombe dans la Somme (#ub745848b-03a7-5d47-b22e-20ddd17101a0)
Mutinerie sur le front occidental (#u095dfbc2-772a-5ab2-94e6-2f8b0b421a6f)
La guerre qui mettra fin à toutes les guerres (#uff9fea45-de70-5cf4-bd48-39851de84ea5)
Introduction
Les officiers de cavalerie, les chars d'assaut et les avions de fortune de la première guerre mondiale semblent aujourd'hui appartenir à une époque lointaine. Les pertes de cette grande guerre sont immenses. Il est facile d'oublier les individus qui ont se sont trouvés engagés dans ce conflit. La plupart d'entre eux étaient des civils - ouvriers agricoles et d'usine, fonctionnaires, enseignants, arrachés à leur vie quotidienne et plongés dans une épreuve terrifiante et mortelle. Cette guerre a été d’une trop grande ampleur pour être administrée par des armées professionnelles permanentes.
Les histoires de ce livre sont celles d'hommes et de femmes ordinaires : des soldats, des marins et des pilotes et équipages aériens pris dans les grandes batailles et campagnes. Certaines de ces histoires relatent la vie d’espions, d’hommes et de femmes au courage extraordinaire qui se sont aventurés en territoire ennemi en sachant pertinemment qu'ils seraient tués s'ils étaient capturés.
Même ceux qui ont survécu sans lésions physiques ou psychologiques apparentes ont été tourmentés par ce qu'ils ont vu et fait.
Un vétéran britannique se rappelle :
« Il nous a fallu des années pour nous en remettre. Des années ! Longtemps après, lorsque tu travaillais ou allongé dans ton lit avec ta femme, une fois marié, et après avoir eu des enfants, tu revivais tout ça. Impossible de dormir. Impossible de rester en place. Souvent, je me levais et j’arpentais les rues jusqu'à ce qu'il fasse jour. J'ai souvent rencontré d'autres gars qui faisaient exactement la même chose. Ça a duré pendant des années. »
Pour ceux qui ont combattu, la grande guerre est restée l'expérience la plus intense et la plus mouvementée de leur vie.
Au début du mois d'août 1914, les pays les plus puissants du monde se sont déclaré la guerre. Connus sous le nom de Puissances centrales : La Hongrie, l'Autriche et l'Allemagne s'alignent contre les puissances alliées : La France, la Grande-Bretagne et la Russie, ainsi que leurs empires coloniaux.
À mesure que la Grande Guerre progresse, d'autres nations sont entraînées dans le conflit. La Bulgarie et l'Empire ottoman se joignent aux Puissances centrales, tandis que le Japon, la Chine, la Roumanie, les États-Unis et l'Italie se joignent aux Alliés.
C’est le début la première véritable guerre mondiale. Elle impliquerait ultimement des pays de tous les continents. La plupart des combats se déroulèrent en France et sur les fronts est et ouest de l'Allemagne.
La population s’est assemblée à l'annonce du début de la guerre. Les foules ont afflué vers les grandes places des villes majestueuses d'Europe. Chaque camp prévoyait de grandes marches et des batailles héroïques, rapidement décidées. Le Kaiser a déclaré que ses troupes seraient de retour chez elles avant la chute des feuilles en automne.
Les Britanniques n’étaient pas aussi optimistes. On disait souvent que la guerre serait terminée à Noël. Seuls quelques politiciens clairvoyants ont réalisé ce qui se préparait, notamment le ministre britannique des Affaires étrangères, Sir Edward Grey.
La Grande-Bretagne déclare alors la guerre à l'Allemagne le 4 aout. Sir Edward Grey commente à un ami l'entrée de la Grande-Bretagne dans la Première Guerre mondiale :
« Les lampes sont éteintes dans toute l'Europe. Nous ne les verrons pas se rallumer de notre vivant. »
Sa remarque avait une signification profonde. À l'époque, la Grande-Bretagne était un pays puissant et prospère, doté d'un énorme empire. Cette guerre prouvera la triste réalité de cette guerre du 20
siècle et fera perdre à la Grande-Bretagne son statut de nation la plus puissante du monde.
Presque tous les autres pays ayant participé à la guerre ont également souffert. En France, la moitié des hommes âgés de 20 à 35 ans ont été tués ou gravement blessés. L'empire hongrois-autrichien se désintègre.
Les Allemands ayant perdu leur monarchie après la guerre, se trouvent au bord d'une révolution communiste. La guerre a éradiqué la monarchie russe et porté au pouvoir les bolchéviques communistes. Avec eux, 70 ans d'oppression brutale et totalitaire se prépare. Les Russes souffrent toujours des horribles conséquences de la première guerre mondiale.
Les États-Unis ont été l'une des rares nations à émerger plus forte. En 1919, les États-Unis sont devenus la nation la plus riche et la plus puissante du monde.
En dehors de ses conséquences, la première guerre mondiale a quelque chose de particulièrement obsédant. La foule qui s’assemble dans les centres-villes en ce mois d'août n'avait aucune idée de ce que les quatre années suivantes allaient lui réserver. Le gaspillage de la vie ou ce que l'homme d'État britannique Lloyd George a décrit comme étant « l'effroyable boucherie de crimes vains et insensés »
Après que le dernier obus avait été tiré et que la dernière bonbonne de gaz ait été vidée, il ne restait plus rien, sauf plus de 21 millions de morts.
Connue comme la guerre qui mettra fin à toutes les guerres. Ce fut un conflit incontestablement horrible et déchirant. Beaucoup espérèrent que l'humanité ne serait pas assez stupide pour recommencer. Après la signature du traité de paix de Versailles mettant officiellement fin à la guerre en 1919, l'un des principaux participants, le maréchal Foch, commandant français, a qualifié les procédures comme ressemblant à un cessez-le-feu vieux de 20 ans. Au début des années 1920, les gens ont commencé à parler de la guerre comme de la première guerre mondiale.
Les causes de la guerre furent multiples. Le système d'alliances rivales entre les différentes puissances européennes s'est édifié tout au long des précédentes décennies. Chaque pays a tenté de renforcer sa sécurité et ses ambitions en se liant à des alliés puissants. Si les alliances offraient une certaine sécurité, elles s'accompagnaient également d'obligations.
Les évènements qui ont conduit à la guerre ont été déclenchés en juin 1914, lorsque l'étudiant serbe Gavrilo Princip assassine l'héritier du trône austro-hongrois, l'archiduc Franz Ferdinand. En représailles, ils déclarent la guerre à la Serbie.
La Serbie était un allié de la Russie. La Russie rejoint donc la guerre contre l'Autriche-Hongrie et toutes les autres nations rivales liées à leurs alliances respectives. Elles ont été entraînées dans le conflit, qu'elles le voulaient ou non.
Pourquoi une querelle entre la Russie et l'Autriche-Hongrie au sujet d'un pays peu connu d'Europe de l'Est devrait-elle automatiquement impliquer la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne ?
C'est parce que chacun était obligé de soutenir l'autre en cas de guerre. Il y avait aussi d'autres rancœurs de longue date. La Grande-Bretagne maintenait son pouvoir du fait de sa flotte la plus large du monde. Aussi, lorsque l'Allemagne commence à construire une flotte capable de rivaliser avec la marine britannique, la Royal Navy, les relations entre ces deux pays se détériorent rapidement.
Les Britanniques et les Français possédaient de vastes empires coloniaux. L'Allemagne, également prospère et puissante, ne possède que quelques colonies et en veut davantage. Ils ont tous participé à la lutte pour maintenir ou améliorer leur pouvoir dans le monde.
La raison pour laquelle le conflit a été si horrible est plus facile à expliquer. La guerre s'est déroulée à un moment de l'évolution de la technologie militaire où les armes pour défendre une position étaient beaucoup plus efficaces que les armes disponibles pour l'attaquer. Le développement des tranchées fortifiées, des fils barbelés, des mitrailleuses et des fusils à tir rapide permettait à une armée de défendre son territoire de manière simple et directe. Une armée attaquant un territoire bien défendu devait compter sur ses fantassins, armés uniquement de fusils et de baïonnettes, et ils allaient être massacrés par millions.
Tous les généraux impliqués dans la guerre avaient été formés pour combattre par l’attaque, c'est donc ce qu'ils ont fait. Il leur avait été enseigné que la cavalerie était l'une des meilleures armes offensives. La cavalerie - toujours armée de lances, comme elle l’avait été pendant les deux mille ans précédents, participa à quelques batailles, notamment au début de la guerre.
Ces troupes d'élite furent rapidement massacrées. Les tactiques d'Alexandre le Grand, de Gengis Khan et de Napoléon, qui avaient utilisé très efficacement la cavalerie, n'étaient pas à la hauteur de la puissance meurtrière à l'échelle industrielle des mitrailleuses du XXe siècle.
La nouvelle technologie de guerre s’était enrichie d'autres éléments peu glorieux : gaz toxiques, avions de chasse et bombardiers, zeppelins, chars, sous-marins et, surtout, artillerie (canons de campagne, obusiers, etc.). Ces armes avaient atteint un nouveau sommet de sophistication. Elles étaient beaucoup plus précises et tiraient plus rapidement qu'auparavant. Plus de 70 % de toutes les pertes de la première guerre mondiale ont été causées par l'artillerie. L'artillerie pouvait être utilisée pour attaquer et défendre, ne donnait pas plus d’avantage à un camp qu’à l’autre et rendait les combats plus difficiles et dangereux.
La guerre commença par une attaque massive de l'Allemagne contre la France, connue sous le nom de plan Schlieffen, du nom de son initiateur, le Général Alfred Graf von Schlieffen. Le plan prévoyait la traversée de la Belgique neutre par l’armée allemande pour s'emparer de Paris. L'idée était d'éliminer la France de la guerre le plus rapidement possible. Outre la neutralisation de l'un des plus puissants rivaux de l'Allemagne, cela présenterait deux autres avantages. Premièrement, cela priverait la Grande-Bretagne d'une base sur le continent d'où elle pourrait attaquer l'Allemagne. Deuxièmement, ses ennemis de l'Ouest étant gravement désavantagés, l'Allemagne pouvait alors se concentrer sur la défaite de l'armée russe, beaucoup plus importante, à l'Est.
Les combats de la fin de l'été et du début de l'automne 1914 furent parmi les plus violents de la guerre. Les deux parties subirent d'énormes pertes. Lors de la bataille de la Marne, l'avancée allemande est stoppée à moins de 25 kilomètres de Paris. Au début de novembre, les armées s'étaient enlisées dans des rangées de tranchées opposées, qui s'étendaient de la Manche à la frontière suisse. À quelques kilomètres près, la ligne de front est restée la même pendant les quatre années suivantes.
À la frontière orientale de l'Allemagne, ses armées remportent des victoires écrasantes contre de vastes hordes d’envahisseurs russes à la fin d’août et au début de septembre. Ils empêchent le rouleau compresseur russe d'envahir leur pays. À partir de là, l'armée allemande avance progressivement vers l'est. En 1915, les troupes des corps d'armée britanniques et australiens tentent d'attaquer les Puissances centrales par le sud en passant par Gallipoli en Turquie. Cette stratégie fut un désastre. Entre avril et décembre 1915, environ 200 000 hommes furent tués en essayant de prendre pied dans cette péninsule étroite et vallonnée.
En 1916, la guerre qui était censée se terminer à Noël 1914, semblait devoir durer éternellement. Les Allemands lancent une attaque sur les forts de Verdun en février. Leur stratégie fut un succès à certains égards. L'armée française perdit 350 000 hommes et ne s'en remit jamais. Les Allemands subirent également plus de 300 000 pertes, et les Français tinrent les forts.
Le 31 mai 1916, la flotte allemande défie la Royal Navy britannique en mer du Nord, lors de la bataille du Jutland. Dans une confrontation totale, 14 navires britanniques et 11 navires allemands sont perdus. Si la marine britannique avait été détruite, l'Allemagne aurait sans aucun doute gagné la guerre.
La Grande-Bretagne insulaire aurait été affamée jusqu'à la soumission, car les cargos n'auraient pas pu naviguer dans les eaux britanniques sans être coulés. Les Britanniques ont peut-être perdu davantage de navires, mais la marine allemande ne s'est plus jamais aventurée en mer, et le blocus naval britannique de l'Allemagne est resté intact.
Le 1
juillet 1916, une autre grande bataille commence. Les Britanniques lancent une attaque totale sur la Somme, dans le nord de la France. Le commandant en chef britannique, le maréchal Haig, est convaincu qu'un assaut massif brisera la ligne de front allemande. Cela lui permet d'envoyer sa cavalerie et permet aux troupes de faire une avancée considérable en territoire ennemi.
L'attaque échoue dès les premières minutes et 20 000 hommes sont massacrés en une seule matinée. La bataille de la Somme continuera de s'éterniser pendant cinq autres misérables mois.
En 1917, un désespoir implacable s'installe sur les nations combattantes. Avec une obstination effroyable, le maréchal Haig lance une nouvelle attaque contre les lignes allemandes, cette fois en Belgique. Le mauvais temps a transformé le champ de bataille en un bain de boue impénétrable. Entre juillet et novembre, lorsque l'assaut est finalement annulé, les deux camps ont perdu un quart de million d'hommes.
Deux autres évènements survenus en 1917 ont eu des conséquences considérables sur l'issue de la guerre. Le peuple russe a terriblement souffert et, en mars, la révolution a contraint le tsar Nicolas II à abdiquer. En novembre, les bolchéviques radicaux prennent le pouvoir et imposent une dictature communiste à leur pays. L'une de leur première action est de faire la paix avec l'Allemagne.
Les bolchéviques supposaient que des révolutions similaires allaient balayer l'Europe, en particulier l'Allemagne. Ils pensaient que l'Allemagne serait bientôt un autre régime communiste qui traiterait la Russie plus équitablement. Ils acceptèrent un traité de paix désavantageux en mars 1918. L'Allemagne s’empara de vastes étendues de terres de l'Empire russe - la Pologne, l’Ukraine, les États baltes et la Finlande. Pour l'Allemagne, il s'agit d'une grande victoire : non seulement elle ajoutait une vaste portion de territoire à sa frontière orientale, mais elle pouvait désormais concentrer toutes ses forces pour vaincre les Britanniques et les Français.
Mais malgré ces succès, les évènements conspirent contre l'Allemagne. Après l'échec de la bataille du Jutland, qui lui a empêchée de dominer les mers, l'Allemagne s'engagea dans une politique de guerre sous-marine sans réserve. Les sous-marins allemands attaquaient tout navire se dirigeant vers la Grande-Bretagne, même ceux appartenant à des nations neutres.
Cette stratégie fut efficace, mais elle se retourna contre eux. Les attaques sous-marines provoquèrent l'indignation à l'étranger, notamment aux États-Unis, et devinrent l'une des principales raisons pour lesquelles l'Amérique se retourna contre l'Allemagne. Le président Woodrow Wilson fait passer son pays du côté des alliés le 6 avril 1917, mais ce n'est qu'à l'été 1918 que les troupes américaines commencent à arriver en grand nombre sur le front occidental.
Le moment ne pouvait pas être plus mal choisi pour l'armée allemande. L'offensive Ludendorff, nommée d'après le commandant allemand Erich Ludendorff, débute le 21 mars 1918. Vingt-six divisions percent les troupes britanniques et françaises épuisées sur la Somme, et déferlent sur Paris. Pendant un certain temps, il semble que l'Allemagne soit en train de gagner la guerre sur le front occidental et sur le front oriental. Les Britanniques sont tellement alarmés que le maréchal Haig donne l'ordre à ses troupes, le 12 avril, de s’engager et de se battre jusqu'à la mort.
« Dos au mur et convaincus de la justesse de notre cause, chacun d'entre nous a le devoir de se battre jusqu'au bout. »
L'offensive de Ludendorff s'est avérée être le dernier coup désespéré de l'armée mourante. Face à une résistance britannique tenace et à des troupes américaines fraîches et enthousiastes, l'avancée allemande s'arrête net. L'armée allemande n'a plus rien à donner. Chez elle, la population allemande meurt de faim après quatre années de siège par la Royal Navy. En août 1918, l'Allemagne est au bord de la révolution.
Les Alliés font une percée massive à travers les lignes de front allemandes dans le nord de la France et commencent à pousser sans relâche vers la frontière allemande. Confronté à une mutinerie au sein de ses forces armées, à une révolution à l'intérieur du pays et à l'invasion inévitable du territoire national, le Kaiser abdique et le gouvernement allemand demande un armistice - un cessez-le-feu le 11 novembre 1918.
Les combats se poursuivent cependant jusqu'au dernier jour. Dans ses mémoires, le Général Ludendorff se souvient de la situation :
« Le 9 novembre, l'Allemagne, privée de toute direction ferme, privée de toute volonté, privée de ses princes, s'est effondrée comme un paquet de cartes. Tout ce pour quoi nous avions vécu, tout ce que nous avions maintenu par le sang pendant quatre longues années avait disparu. »
Bien que les villes allées se livrent à des célébrations enthousiastes, de nombreux soldats sur le front occidental accueillent la nouvelle par un haussement d'épaules fatigué. Les armes se sont tues. Les mauvaises herbes et les plantes envahissent petit à petit les champs de bataille désolés, couvrant les arbres flétris et les terres ravagés, transformant la noirceur en verdure présomptueuse. Les lieux de sépulture rudimentaires et improvisés peuvent finalement être remplacés par des monuments imposants dans de magnifiques cimetières.
De nombreux morts ont trouvé leur dernière demeure au milieu de longues rangées de croix, chacune portant le nom, le grade et la date du décès gravé dans le marbre. D'autres, dont les restes déchirés étaient éparts et méconnaissables, ont été enterrés sous des croix marquées de l’inscription connu de Dieu seul.
Il faudra encore 10 ou 15 ans avant que les camions, les chariots à obus et les chars carbonisés ne soient emportés à la ferraille et que les trous d'obus ne soient rebouchés. Lorsque la guerre éclate à nouveau en 1939, la plupart des terres sont à nouveau cultivées. Mais la faible odeur de gaz persiste dans les recoins, des fusils et des casques rouillés jonchent encore le sol cicatrisé et des douilles, des fragments d'éclats d'obus et des os humains peuvent encore être trouvés sur les champs de bataille du nord de la France.
La légende des Anges de Mons
Nous sommes le 24 août 1914, en début d'après-midi. Ces deux dernières semaines à attendre pour intercepter la cavalerie allemande ont été un cauchemar.
En levant les yeux vers le ciel orageux, cela me rappelait un verset de l'Apocalypse : « Et le grand dragon fut chassé... Et ses anges furent chassés avec lui. » Mon environnement actuel en rajoutait à cette humeur.
Je me trouvais dans la ville minière belge de Mons, une zone marécageuse entrecoupée de canaux, et jonchée d'immenses tas d'ordures.
J'étais le capitaine du 4th régiment d’infanterie du CEB (Corps expéditionnaire britannique) et j'avais été envoyé en France au début de la guerre. Nous faisions face à plus d'un million de soldats allemands. Ils étaient déterminés à atteindre Paris dans le cadre de la stratégie du général Schlieffen visant à remporter une victoire rapide.
Entre deux marches de plusieurs jours, j'avais connu des moments de pure terreur lorsque j'avais été surpris par des unités allemandes avancées ou des tirs d'artillerie. Lorsque j'avais dû ordonner à mes hommes de se lever et de se battre, ils avaient affronté des hordes de soldats ennemis, avançant en rangs si épais qu'ils semblaient ressembler à des nuages sombres balayant les champs verts. Les soldats qui combattent dans de telles conditions souffrent d'un état d'épuisement qui serait inimaginable pour la plupart des gens. Dans cet état, certains déclaraient avoir vu des châteaux imaginaires à l'horizon, des géants imposants et des escadrons du cavalerie - tout cela n'était, bien sûr, que des hallucinations.
Nos pertes avaient été catastrophiques - un bataillon d'infanterie moyen de 850 hommes du CEB se retrouvait avec à peine 30 hommes au moment où l'avance allemande était stoppée, et les tranchées établies. J'avais l'impression de vivre des moments apocalyptiques. C'est au cours d'une retraite désespérée qu'est née l'une des histoires les plus étranges de mes aventures de guerre : on murmurait qu'une nuée d'anges était venue se porter au secours des troupes britanniques à Mons.
Non seulement les anges avaient sauvé nos soldats d'une mort certaine, mais ils avaient aussi terrassé les Allemands qui attaquaient. Aussi extraordinaire que soit cette histoire, elle a été largement crue pendant des décennies après la fin de la guerre.
Au début des combats, les autorités de l'armée n'ont autorisé aucune information réelle en provenance du champ de bataille et, par conséquent, des histoires folles et fantaisistes ont commencé à circuler. Le correspondant de guerre Philip Gibbs a écrit que la presse et le public étaient si désespérés de savoir ce qui se passait que « toute bribe de description, toute lueur de vérité, et toute déclaration, rumeur, conte de fées ou mensonge délibéré, qui leur parvenait de Belgique ou de France était facilement accepté ». Les fabulistes ont dû passer un bon moment.
Dans cette atmosphère fiévreuse, l'histoire des Anges de Mons se répand comme une traînée de poudre. Comme toutes les légendes urbaines, elle a toujours été racontée de bouche à oreille. Un ami avait eu connaissance d'une lettre du front qui en faisait état, ou un officier anonyme l'avait racontée - et la légende s'est développée à partir de là. Parfois, un nuage mystérieux et lumineux faisait partie de l'histoire. Parfois, il s'agissait d'une bande de cavaliers ou d'archers fantômes ou même une fois de Jeanne d'Arc elle-même. Mais la plupart du temps, il s’agissait d’une armée d'anges venue secourir les troupes britanniques assiégées.
De nombreuses histoires folles de cette époque sont le résultat de la propagande gouvernementale. Mais celle-ci était plus innocente. Il s'agissait d'un article paru dans l'édition du 29 septembre du London Evening News, écrit par un journaliste indépendant. Cette fiction mystérieuse racontait l'histoire d'un groupe de soldats britanniques à Mons, attaqués et largement dépassés par les troupes allemandes.
Alors que les Allemands avançaient et que la mort semblait proche, les soldats murmuraient la devise : « Que Saint-Georges soit avec nous pour aider les Anglais ».
Selon l'histoire :
« Le rugissement de la bataille s’affaiblissait à ses oreilles, en un doux murmure. Puis, il entendit, ou sembla entendre, des milliers de personnes s’écrier St. George ! St. George ! Alors que le soldat entendit ces voix, il vit devant lui, au-delà de la tranchée, une longue ligne de formes auréolées d’une lumière éclatante. Ils ressemblaient à des archers et, alors qu’une clameur s’éleva, leur nuée de flèches s'envola en sifflant dans les airs vers l'armée allemande.
L'histoire était un méli-mélo poétique assemblant le saint patron de l'Angleterre aux fantômes Bowmans, les esprits de ces archers, peut-être, qui avaient remportés une célèbre victoire anglaise contre les Français à Agincourt en 1415. On a peut-être cru que l'histoire était vraie parce qu'elle apparaissait dans la nouvelle section du journal - probablement en raison de problèmes d'insertion, ou d'un simple malentendu du concepteur du journal, plutôt que d'une tentative délibérée du journal du soir d'induire ses lecteurs en erreur.
Le récit original était déjà assez absurde mais, dans les semaines et les mois qui ont suivi sa publication, les récits sont devenus encore plus aberrants. Les journaux britanniques alimentèrent une étrange hystérie en reproduisant des illustrations montrant des troupes britanniques priant dans les tranchées, tandis que des rangs d'archers fantomatiques tiraient des flèches lumineuses sur les Allemands en approche. Il s'est répandu dans tout le pays, et l'histoire a évolué : les archers sont devenus des archers angéliques.
Le journaliste n'a jamais prétendu que son histoire avait un grain de vérité. « Ce conte est une pure invention », a-t-il admis. « J'ai tout inventé de ma propre imagination. » Il était embarrassé par l'effet que cela avait eu sur le public britannique.
L'authenticité de l'histoire était encore débattue des décennies après la fin de la guerre. À la fin des années 1920, un journal américain a déclaré que les anges étaient des images cinématographiques projetées sur les nuages par des avions allemands. L'idée était de semer la terreur parmi les soldats britanniques, mais le plan s'est retourné contre eux et les Britanniques ont supposé que les figures fantomatiques étaient de leur côté. Ce rapport tenait pour acquis que des Anges étaient apparus. Il ne faisait que proposer une explication logique, bien qu'extrêmement peu plausible, de la raison pour laquelle ils avaient été aperçus. Même dans les années 1970 et 1980, le Musée impérial de la guerre britannique était encore interrogé sur l'authenticité de cette histoire.
De nos jours, il est facile de se moquer de la bêtise de ceux qui croient à de telles histoires, mais le fait que ce conte ait été si largement admit nous en dit long sur la société qui a fait la guerre. J'ai eu la chance de survivre, mais des milliers d'autres hommes avaient été tués au cours des premiers mois de ce conflit.
Pour ceux qui avaient perdu leur mari ou leur fils, il y avait un grand besoin de consolation. Des histoires comme celle-ci rassuraient les parents en deuil. Il était particulièrement réconfortant de constater que Dieu était si manifestement du côté des Britanniques plutôt que des Allemands. D'autres histoires improbables ont circulé tout au long de la guerre. Certaines étaient basées sur les habituelles histoires farfelues racontées par les troupes en permission des tranchées.
On croyait généralement qu'une bande internationale de déserteurs renégats se promenait dans le « no man's land », l’espace se trouvant entre les tranchées adverses. Ces histoires ont été délibérément fabriquées par l'unité de propagande du gouvernement britannique, afin de soutenir le moral des troupes et d'attirer l'Amérique dans la guerre.
La plupart du temps, les forces militaires allemandes se comportaient de la même manière que n'importe quelle autre armée, mais, pendant la phase désespérée du début de la guerre, l'armée allemande avait traité brutalement toute résistance des civils belges à l'invasion de leur pays.
Des otages avaient été abattus dans des villages massacrés en représailles. Sur la base de ces histoires, la propagande britannique a construit une image du peuple allemand comme une nation de barbares impies. Les Huns était le surnom le plus souvent utilisé, d'après les soldats du quatrième siècle d'Attila, qui avaient détruit Rome et une grande partie de l'Italie.
Parfois, cette propagande était ridicule dans son imagerie grotesque. Les soldats allemands, disait-on, remplaçaient les cloches des clochers des églises belges par des nonnes pendues. Plus tard au cours de la guerre, des articles ont été publiés dans la presse britannique affirmant que les Allemands possédaient leur propre usine de cadavres et que les soldats allemands tués au combat y étaient envoyés pour que les corps soient transformés en explosifs, bougies, lubrifiants industriels et cirage pour bottes.
Les réactions que de telles histoires suscitèrent en Grande-Bretagne furent parfois tout aussi étrange. Des chiens teckels allemands furent lapidés dans la rue. Les magasins dont les propriétaires étaient des immigrés allemands furent attaqués et pillés. Ces histoires créèrent une atmosphère de peur et de haine intenses de l'ennemi - comme elles étaient censées le faire. Beaucoup de ceux qui se sont précipités pour s'engager dans l'armée dans les premiers mois de la guerre étaient convaincus qu'ils se battaient pour la civilisation contre l'ennemi barbare qui violerait et mutilerait leurs femmes et leurs enfants, si jamais il traversait la Manche et envahissait la Grande-Bretagne.
Après la guerre, les gens réalisèrent que la plupart des informations concernant la guerre et l'ennemi allemand étaient des mensonges purs et simples. Les journaux avaient perdu la confiance aveugle de leurs lecteurs. Cette attitude persista jusqu'au début de la seconde guerre mondiale. Cela signifie que lorsque les histoires des camps de la mort allemands apparurent pour la première fois dans les journaux, elles furent largement contestées. Elles ressemblaient de trop près à l'histoire de l'usine de cadavres, 20 ans auparavant.
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