L′Épice

L'Épice
Robert A. Webster
Cette quête exaltante, imprévisible et pourtant parfois hilarante, vous emmène depuis le confort d’un restaurant londonien branché jusqu’aux jungles sauvages des Montagnes Cardamomes, où un boulanger anglais et un réfugié cambodgien sont à la recherche d’une famille disparue et essaient de trouver une plante mythique, source d’une épice incroyable et unique.
Ben Bakewell est maître-pâtissier dans l’un des restaurants les plus prestigieux de Londres. Plus connu sous le sobriquet de « Cake », il se prend d’amitié pour Ravuth, un réfugié des champs funestes du Cambodge qui a fui vers l’Angleterre dans les années 1970 lorsque les Khmers Rouges ont profané son pays. Tout jeune, Ravuth a trébuché sur une plante inconnue, source d’une épice incroyable et unique. Séparé de sa famille par les Khmers Rouges, et ayant passé la majorité de sa vie à les rechercher, Ravuth retourne au Cambodge avec Cake à la poursuite de cette plante rare et pour retrouver ses proches séparés. En arrivant au Cambodge, ils font équipe avec un ex-agent de la DEA (organisme américain de lutte contre la drogue) en disgrâce, avide de revanche, qui s’intéresse à la plante dans un but bien plus sinistre. Ils s’enfoncent dans les profondeurs de la jungle Cardamome, sauvage et impitoyable, d’où ils ressortiront tout juste vivants. Trouveront-ils la famille Ravuth et l’étonnante épice ?


L’ÉPICE

Robert A Webster

Écrit par Robert A Webster
Copyright © Robert A. Webster 2020
Traducteur -Pierre Balsamo
Conception de la couverture © Robert A. Webster 2020
publié par Tektime 2020
Tous droits réservés.

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First edition

Avant-propos
Les ténèbres vont s’abattre sur le Cambodge.
Il y aura des maisons, mais vides d’habitants.
Des routes sans voyageurs.
Les barbares sans religion domineront le pays.
Le sang coulera tellement qu’il touchera le ventre de l’éléphant.
Seuls le sourd et le muet survivront.
Ancienne prophétie cambodgienne
Indice
(#u95a17d69-ebec-5bb6-81de-00645741f207)
Avant-propos
1 (#u98899692-3854-5554-9f3d-1d13598d89d3)
Peur et dégoût
2 (#u1b8ec8f8-356b-51db-a827-2861199c95a4)
– 2 – Le phénomène de la pâtisserie
3 (#u6ba77e08-5bd4-55aa-9e6c-640b3841e9b1)
– 3 – Un asile sûr
4 (#ufa8bae38-9164-5ef9-ad20-5f38f9040fba)
– 4 – Fin du commencement
5 (#u86c43361-e78f-54c7-a214-5c8d38dda367)
– 5 – L’art du mensonge
6 (#u623a741d-4017-5b75-9dea-868221449e31)
– 6 – Espoirs et rêves
7 (#uc1d24ff3-1d59-535a-a222-21332b3ebd0b)
– 7 – Quand la fortune sourit
8 (#u29f3cf7e-8335-5969-9fc4-fccbeea048c4)
– 8 – Le piège
9 (#u03bf2e08-d593-5d54-8ad8-d9ced4d39c8b)
– 9 – Avec la richesse vient l’avidité
10 (#uc320825e-4992-5344-a9cd-b9ab8d2182fe)
Après une vie de solitude.
11 (#u4b255256-75ad-5736-88ba-9041cc9e82a4)
– 11 – Recherche et découverte
12 (#u4a4de7c3-5e3a-52d6-8d4c-4bcd97e1271f)
– 12 – Le retour du grincheux
13 (#uc23201a0-3dff-534f-b979-ce1efa0dcbd1)
– 13 – Une triste fin
14 (#u085885de-f26f-515d-83e5-af3042fe5fc0)
– 14 – Priez Bouddha
15 (#uf196a908-91fa-5fce-a070-fcdc209eb6d1)
– 15 – Amitiés éternelles
16 (#u21584d5f-69ba-5437-891a-f1cb930025f7)
– 16 – Justice rendue
17 (#u29143df3-0167-54c4-84a8-a4f1a70dde65)
–17– Guérison de vieilles blessures
18 (#ud562c097-305b-515a-a254-83bdd5f559de)
– 18– Capteur de rêves
19 (#u50e57520-8cb4-50b2-b9fd-1182de634561)
– Épilogue –
20 (#u39606c52-a3fa-57fa-bdf5-78c7dc7fe34f)
– Annexe –
21 (#udcf6ea8f-dd67-5dca-9346-ef18a256740a)
Faites connaissance avec l’auteur
22 (#uccc424ed-5716-5edb-a12c-1d6b0952e7c7)
De Robert A Webster également

1
Peur et dégoût
Elle sourit, repoussa des mèches de cheveux noirs derrière ses oreilles, descendit les marches en bois et s’approcha de ses fils. « Ravuth, toi et ton frère allez chercher le tror bek pour le dîner », dit-elle.
L’adolescent leva les yeux de l’endroit où son petit frère et lui-même étaient assis et il maugréa.
« Maintenant, Ravuth », ajouta sa mère en menaçant du doigt.
« D’accord, viens Oun », dit Ravuth en se levant ; il prit la main de son frère et ils se dirigèrent vers la jungle.
L’atmosphère était humide et Ravuth essuya son front moite avec le bras. Il se retourna vers le village et porta son regard vers les Montagnes des Cardamomes. « Si j’étais un oiseau, je pourrais voler par-dessus les montagnes, ce serait cool là-haut », dit-il à Oun avec un grand sourire.
Oun semblait excité et approuva de la tête, car il adorait le légume qui ressemblait à un melon d’eau rond et miniature avec une chair blanche et croquante. Ravuth eut alors une idée.
* * *
On était en 1975. À l’insu du village retiré, le Cambodge était en pleine tourmente. La guerre dans le pays touchait à sa fin, mais un cauchemar commençait, qui amènerait une période de génocide affectant chaque Cambodgien.
* * *
Des gouttes de transpiration perlaient maintenant sur le visage de Ravuth. Impitoyablement, le sel de sa sueur réactivait les plaies de ses mains en frottant contre la poignée usée de sa machette. Une fois encore, il leva son bras douloureux et taillada dans le feuillage. Sa soif devenait plus pressante et la fatigue menaçait de l’accabler, mais il ne pouvait s’arrêter à cause de son petit frère.
« Nous sommes perdus, pas vrai Ravuth ? ». La voix tremblante d’Oun trahissait la peur.
Ravuth se retourna pour jeter un coup d’œil au visage enfantin. C’était sa faute s’ils étaient perdus, il n’aurait jamais dû s’écarter de la piste. Sa mère lui avait répété maintes fois de ne jamais quitter les chemins balisés, mais il pensait être plus malin.
Les garçons connaissaient la jungle qui encerclait le village retiré où leur famille vivait depuis des générations, se nourrissant de divers végétaux et animaux présents dans leur domaine sauvage. La collecte des fruits et des légumes de la jungle faisait partie des tâches quotidiennes de l’adolescent Ravuth et de son jeune frère Oun depuis des années. L’itinéraire était toujours le même. Cependant, aujourd’hui, les deux frères avaient décidé d’explorer la forêt à la recherche d’un nouveau secteur plus abondant en légumes.
Perdus, Ravuth et Oun erraient depuis plus d’une heure dans ce sous-bois dense et hostile. Puisant dans ses dernières forces, Ravuth se fraya un chemin avec sa machette au travers d’une liane épaisse et les deux garçons débouchèrent dans une clairière. « Nous serons bien ici », déclara Ravuth en se forçant à sourire avec une décontraction feinte. « Nous pouvons nous reposer ici, puis nous reviendrons sur nos pas ».
« Ravuth, regarde par là ! », appela Oun, désignant une plante étrange nichée entre deux petits affleurements de roche. « Et regarde le trou près des rochers. Cela pourrait être l’entrée d’une grotte ».
Les garçons s’approchèrent de la plante ; Ravuth se pencha et jeta un coup d’œil dans la grotte.
« Qu’est-ce qu’il y a dedans ? Est-ce que c’est grand ? », demanda Oun.
« Je ne sais pas, c’est sombre et je ne vois pas bien à l’intérieur », dit Ravuth qui avait passé sa tête et ses épaules à l’intérieur de l’entrée de la grotte. « Mais je peux me faufiler et regarder ».
« Pas question, lança Oun pris de panique, partons, nous ne savons pas ce qui est à l’intérieur ».
Ravuth, écoutant le conseil de son petit frère, renonça à entrer.
L’attention d’Oun se porta alors sur la plante, qu’il déracina. Le haut de la plante comprenait une gousse dorée en forme de bulbe rond surmontée d’un disque ondulé. Sa longue tige fine entourée de larges feuilles vertes avait la forme et la taille de la laitue chinoise, avec une petite racine blanche en forme de carotte, « Je n’ai jamais vu cette plante. Qu’est-ce que c’est ? », demanda Oun, tendant la fleur à Ravuth.
« Moi non plus, je ne sais pas. Je vais la rapporter à la maison, maman saura. Peut-être qu’elle a bon goût », dit-il en reniflant le haut de la plante.
Ses parents leur avaient appris dès leur plus jeune âge à identifier les plantes toxiques, et Ravuth savait instinctivement que la plante était comestible. « C’est amer », grimaça-t-il en mâchant une feuille, « peut-être que c’est meilleur quand c’est cuit ».
Soudainement, ils entendirent plusieurs craquements de branchages et le feuillage environnant remua fortement. Les garçons, terrifiés, se retrouvaient nez à nez avec un jeune tigre mâle qui venait de déboucher du sous-bois et s’était immobilisé à quelques pas.
Des tigres indochinois rodent dans les jungles entourant les Montagnes des Cardamomes. Ils se tiennent à distance des humains autant que possible, car ils les jugent perturbateurs et ils n’ont pas l’air appétissants. Cependant, deux de ces petites bêtes avaient dérangé le repère favori du tigre.
Ravuth fourra l’étrange plante dans sa poche puis, imité par son frère, il leva sa machette, la pointant vers le jeune félin.
Celui-ci grognait et faisait des pas en avant et en arrière devant les garçons.
« Recule lentement », ordonna Ravuth, tous ses muscles prêts à réagir.
Tout en surveillant les piétinements du tigre qui continuait à grogner en leur jetant un œil dédaigneux, les frères terrifiés reculèrent vers le sous-bois épais.
Enfin débarrassé des humains, l’animal se dirigea vers l’entrée de sa grotte, leva sa patte et répandit son odeur dans son domaine. Il jeta un coup d’œil aux garçons et rampa dans sa grotte.
Ravuth et Oun observèrent le tigre qui pénétrait dans sa grotte et se précipitèrent dans la jungle.
Trébuchant sur le sol de la jungle pendant vingt minutes, ils arrivèrent dans une clairière couverte de végétation familière. Ils s’arrêtèrent, reprirent leur souffle et sourirent soudain. « Du tror bek ! Je sais où nous sommes maintenant », dit Ravuth, soulagé.
« Bien, récupérons-en un peu et rentrons à la maison », répliqua Oun, encore plus soulagé.
* * *
Les garçons débraillés regagnèrent leur village en fin d’après-midi. Ils s’attendaient à recevoir une réprimande de leur mère. Au lieu de cela, ils remarquèrent que tous les villageois étaient rassemblés dans la grande hutte communale au centre du village. Confus, Ravuth et Oun dépassèrent la grande cabane sans se faire remarquer et se dirigèrent vers leur maison. Ils savaient que leur père était parti à *Koh Kong tôt le matin pour vendre ses bijoux et ils ne l’attendaient pas avant le lendemain. Cependant, lorsqu’ils atteignirent leur baraque en bois penchée, ils virent la bicyclette de leur père à l’extérieur. Ils montèrent les marches, pénétrèrent dans la pièce principale et virent un sac carré en toile noire sur la table. Ne comprenant pas ce qui arrivait, ils placèrent la plante étrange avec les légumes dans un saladier et se dirigèrent vers la cabane communale.
« Qu’est-ce qui se passe ? », demanda Oun.
« Je ne sais pas. Je suis troublé moi aussi. Pourquoi père est-il rentré si tôt et qu’est-ce qui se trouve dans ce sac sur la table ? », demanda Ravuth
Les frères se dirigèrent vers la grande cabane communale. Depuis l’entrée, ils virent leur mère assise sur le sol. Leur père, le visage sale en larmes et avec un regard terrifié, s’adressait aux villageois qui semblaient choqués. Ravuth et Oun s’assirent sur le sol à côté de leur mère.
« Qu’est-ce qui se passe, pourquoi père a l’air si effrayé et couvert d’égratignures, et pourquoi est-ce qu’il parle à tout le village à la place du chef de village Ren ? », demanda Ravuth.
Il regarda sa mère effrayée, qui murmura : « Ren est mort et votre père raconte ce qui est arrivé à Koh Kong, restez tranquilles et écoutez. Il a presque terminé et nous vous expliquerons plus tard ». Bien que terrifiée, Rotha essaya d’avoir l’air calme devant les garçons.
Stupéfait, Ravuth dévisagea les villageois présents et vit les enfants de Ren blottis autour de leur mère en pleurs à l’autre bout de la pièce, se consolant les uns les autres, avec d’autres familles dont les parents n’étaient pas revenus. Ravuth et Oun avaient manqué la majeure partie de ce que leur père avait expliqué aux villageois, mais en voyant les visages de l’assistance, ils réalisaient que cela devait être quelque chose de sérieux. Quand il eut fini, leur père se fraya un passage pour rejoindre Rotha et les garçons.
« Qu’est-ce qui est arrivé, père ? », demanda Ravuth.
« Nous avons beaucoup de travail devant nous », répondit leur père Tu, visiblement affolé. « Rentrons à la maison et je vous expliquerai ».
La famille quitta la cabane communale pendant que les autres se dispersaient et rentraient chez eux.
* * *
Les deux frères et leur père s’assirent sur un Kam-ral, un tapis de paille. Tandis que Rotha s’occupait de ses plaies, Tu déroula son horrible récit à ses fils.
« Je suis parti avec Ren et les autres jusqu’à la frontière séparant la Thaïlande du Cambodge pour vendre les bijoux que nous avions fabriqués. Au premier abord, tout semblait normal. Nous nous sommes arrêtés derrière le poste-frontière, à l’endroit où nous laissons habituellement nos bicyclettes ».
Tu grimaça quand Rotha plaça un baume piquant sur une égratignure profonde, puis il continua.
Il n’y avait pas de soldats au poste. À leur place, plusieurs jeunes gens habillés en pyjamas noirs et portant des foulards à carreaux rouges et blancs, se tenaient près d’une large barrière en construction au point de contrôle. Ils portaient des fusils et ordonnaient à des travailleurs de construire un grillage. Je vis que des soldats thaïlandais se tenaient à la frontière côté Thaïlande avec anxiété, aussi je décidai de rester avec les bicyclettes pendant que Ren partait se renseigner, tandis que les autres partaient pour attendre le car. Ren s’approcha d’un garçon qui, à sa vue, pointa son fusil sur lui.
Ren semblait effrayé car le garçon lui cria dessus et dit qu’il était un soldat *Khmer rouge, maintenant en charge du Cambodge.
Tu regarda ses fils et leur dit :
« Le garçon avait à peu près le même âge que toi, Ravuth ».
Oun et Ravuth virent leur père trembler en leur disant : « Un autre soldat khmer rouge a crié en direction du car qui approchait et s’est précipité, attendant que le car se soit arrêté. Ils ont fait sortir un groupe d’étrangers terrifiés, en jetant leurs affaires depuis le car. Les étrangers ont pu ramasser certaines de leurs affaires avant que les Khmers rouges ne les poussent vers le no man’s land de la frontière cambodgienne. Je voyais les soldats thaïlandais tenant en joue le groupe d’étrangers qui s’approchait, les Khmers rouges et nos villageois qui venaient pour aider, aussi je suis resté où j’étais ».
Tu prit le sac noir sur la table et dit : « Comme j’avais remarqué que les touristes avaient laissé plusieurs objets derrière eux, je me suis dirigé vers le car vide et j’ai fouillé dans les objets épars. J’avais déjà vu des touristes porter des objets semblables ».
Il ouvrit le sac, en sortit un appareil Polaroïd et le montra à ses fils curieux.
« Je suis revenu à ma bicyclette, j’ai accroché le sac à mon guidon et j’ai continué à regarder ce qui se passait à la frontière. Le groupe s’était approché des soldats thaïlandais et s’était arrêté. Le Khmer rouge poussa les étrangers tremblants vers l’avant et cria en direction des Thaïs, mais je n’ai pas pu entendre ce qu’ils disaient. Les touristes ont couru vers les soldats qui, tenant toujours en joue les Khmers rouges, laissèrent passer les étrangers qui allèrent s’abriter derrière ces soldats. Tous les Khmers revinrent en marchant à travers le no man’s land vers le territoire cambodgien, en riant et en plaisantant ».
« Ça va, papa ? », demanda Ravuth tandis que son père était devenu silencieux et se frottait les yeux.
Tu acquiesça et poursuivit :
« Ren et les villageois semblaient maintenant s’entendre avec les Khmers rouges. Ils riaient et plaisantaient ensemble en revenant vers le côté cambodgien de la frontière. Je me sentais soulagé et j’étais sur le point de les rejoindre, espérant qu’ils ne m’avaient pas vu prendre l’appareil ».
Tu ajouta avec un tremblement dans la voix : « Mon soulagement se transforma en horreur lorsque le jeune Khmer rouge qui marchait derrière Ren plaça le canon de son fusil sur l’arrière de son crâne et appuya sur la détente ».
Ravuth et Oun haletaient.
Tu secoua la tête : « Ren ne s’est douté de rien ; il parlait à un autre Khmer rouge quand sa tête a explosé. J’ai vu la balle sortir de sa tête et son corps qui tombait sur le sol », ajouta Tu en essuyant des larmes.
Rotha leur apporta des gobelets d’eau et posa ses mains sur les épaules de son mari.
Tu avala l’eau, se recomposa et continua : « Je me suis caché derrière la cabane des gardes-frontière et j’ai entendu les soldats khmers rire et bavarder, tandis que nos amis et voisins leur demandaient grâce. Je savais que je devais m’éloigner de là, même si cela signifiait les abandonner, soupira-t-il, mais je ne pouvais rien faire pour eux ».
Rotha partit vers la cuisine tandis que Tu continuait. « J’ai fait reculer ma bicyclette de quelques mètres en arrière de la cabane des gardes-frontière, j’ai jeté mes colliers et j’ai pédalé aussi vite que je pouvais. Je n’étais pas très loin quand j’ai entendu des gens derrière moi qui me criaient d’arrêter. Terrifié, j’ai ignoré ces cris et j’ai continué à pédaler. J’ai entendu un tir et une balle est passée près de mon oreille ».
Les garçons se regardèrent, puis leur père continua. « J’ai pédalé frénétiquement, j’ai quitté la route et me suis dirigé à travers les champs vers la jungle jusqu’à ce que la piste soit trop accidentée pour la bicyclette et je me suis caché dans le sous-bois derrière un bosquet d’arbres. J’ai attendu ce qui m’a paru une éternité, mais ne voyant aucun signe des Khmers rouges, je suis revenu sur mes pas, j’ai ramassé ma bicyclette et j’ai pédalé jusqu’à la maison ».
« Qu’est-ce qu’un Khmer rouge ? », demanda Ravuth.
Tu secoua la tête. Ignorant des événements survenus au Cambodge, il savait seulement qu’ils devraient avoir peur et se faire oublier, aussi il répliqua : « Je ne sais pas, fils, mais nous devons rester cachés tant que nous n’avons pas découvert ce qui s’est passé. Nous serons plus en sécurité en nous enfonçant dans la jungle ; ce soir, nous devons organiser nos affaires et trouver un nouveau site. Au matin, nous démonterons notre habitation et la rebâtirons ailleurs », expliqua Tu. Les garçons pouvaient remarquer combien leur père semblait préoccupé, confus et effrayé.
« Qu’est-ce que c’est ? », interrompit Rotha, tenant la plante que Ravuth avait placée sur le dessus du tror bek.
« Je ne sais pas, mère. Nous l’avons trouvée sur la piste et pensions que tu saurais. Nous pouvons peut-être la manger, hein Oun ? », dit Ravuth, cherchant un soutien chez son frère.
« Oui », dit Oun d’un air distrait, tandis qu’il regardait dans la sacoche de l’appareil photo.
« Je n’ai jamais rien vu de tel auparavant », dit Rotha, qui tenait la plante étrange et l’inspectait.
Personne ne fit attention à Rotha ; les deux jeunes semblaient plus intéressés par l’instruction et la démonstration que leur père leur faisait en manipulant l’appareil Polaroïd.
Rotha se dirigea vers leur réservoir d’eau de pluie en argile, remplit un bol d’eau, puis le plaça à côté d’une marmite bouillonnante contenant des légumes et un petit poulet rôti. Elle étudia la plante et sut par la forme et la couleur des feuilles que celles-ci étaient comestibles, aussi elle arracha une feuille, la goûta, grimaça et plaça le reste dans la marmite bouillante. Elle perça la gousse à graines dorée et elle goûta la sève blanche laiteuse qui s’en échappa. Rotha ne pouvait comprendre pourquoi celle-ci avait un goût si sucré tandis que la feuille était si amère, mais elle examinerait cela plus tard. Rotha remarqua que la gousse ronde avait un éclat étrange et sa couleur dorée avait l’apparence d’une mosaïque brillante aux teintes vives, tout comme l’effet créé par de l’huile moteur sur de l’eau.
Dérangée par un flash soudain, elle tourna la tête, juste pour voir les visages souriants de ses deux fils espiègles et celui encore plus espiègle de son mari qui venait de prendre une photo d’elle avec le Polaroïd. Le mécanisme de l’appareil ronronna tandis que le film sortait par l’avant. Tu retira la photographie, décolla la première couche de film et mit la photo sur la table pendant qu’elle se développait.
Rotha sourit à son mari comme il visait à nouveau, pressait le bouton et prenait un autre instantané d’elle, répétant le processus de développement. Tu les fit bouger alors pour prendre une photo d’ensemble des trois. Ils se relayèrent et prirent des photos tour à tour jusqu’à ce qu’ils aient épuisé les six clichés restant dans la cartouche de l’appareil.
Ils observaient les photographies se développer sous leur unique ampoule électrique et semblaient étonnés devant les images qui apparaissaient. Les quatre membres de la famille étaient absorbés par les premières photographies qu’ils aient jamais vues, oubliant un moment la tragédie qui s’était abattue sur le village. Rotha descendit une boîte tissée en feuilles de banane d’une étagère et la plaça sur la table. Tout le monde dans le village possédait plusieurs de ces boîtes. Ces bandes tressées de feuilles de bananes séchées, revêtues d’une résine provenant de la sève de l’écorce de palmier, donnaient à la boîte un éclat de vernis résistant. Quand ils ne les vendaient pas aux touristes, les villageois utilisaient ces boîtes de la taille de petites chaussures pour stocker les babioles et tout ce qui n’était pas usuel. Rotha ouvrit la boîte et y plaça les photographies.
« Vous pourrez les regarder à nouveau quand nous aurons mangé. Ravuth, prépare la table et je vais servir le dîner », ajouta-t-elle.
Rotha était sur le point de fermer le couvercle de la boîte quand elle vit la plante sur la table. Elle coupa la plus grande partie de la tige et plaça la gousse brun doré dans la boîte, fermant le couvercle.
La famille s’assit pour manger. Rotha servit les feuilles de l’étrange plante cuites en bouillon et ils furent tous d’accord que cela avait un goût épouvantable, c’était trop amer. Heureusement, le poulet et le tror bek se laissèrent digérer et après le dîner, ils emballèrent leurs maigres affaires pour le déménagement du lendemain. Le bruyant générateur à deux temps du village s’arrêta à 8 heures du soir, puis ils allèrent se coucher.
* * *
Des cris et des tirs d’armes à feu réveillèrent la famille à l’aube.
Une panique s’ensuivit. Tu, Rotha et les garçons allèrent sur le balcon et virent un groupe de jeunes soldats khmers rouges qui marchaient à travers le village, tirant des coups d’AK-47 dans l’air et hurlant à l’adresse des villageois. Ils s’arrêtèrent devant les habitations dont les résidents se tenaient soit sur les balcons, soit au pied de leurs marches.
Une fille, du même âge que Ravuth, se planta au pied de leur escalier et leur cria de descendre et de se rendre à la cabane communale. Elle pointa son fusil vers Tu et cria : « Immédiatement ! ».
La famille s’exécuta et se rendit à la cabane communale avec les autres villageois effrayés ; on leur ordonna de s’agenouiller. Un soldat khmer rouge, qui paraissait environ 18 dans, se campa devant le groupe. L’audience retenait son souffle. Traînée au bout d’une laisse en corde, se trouvait Dara, une villageoise d’âge moyen qui était partie à Koh Kong avec Tu et les autres pour vendre leurs bijoux le jour précédent.
« Dara est vivante, Rotha », murmura Tu. « Je pensais qu’ils les auraient tous tués ».
Les joues et les yeux enflés, les lèvres et le nez coloré de sang séché, Dara portait des traces de coups. Les villageois regardaient le commandant Khmer rouge la tirer comme un chien. Les autres Khmers rouges faisaient les cent pas derrière l’audience pendant que leur commandant parlait.
Celui-ci donna des explications sur Pol Pot, qu’il appelait Frère Numéro Un, leur leader. I expliqua comment les Khmers rouges contrôlaient maintenant le Cambodge, affirmant : « Chaque citoyen *Khmer appartient maintenant à Angka (l’Organisation). Vous êtes notre propriété et si vous désirez vivre, vous devez prouver votre valeur ».
Il leur expliqua le rôle que leurs enfants allaient tenir après la formation qu’ils recevraient par Angka afin de devenir des soldats de l’organisation. Ils n’auraient plus besoin de parents, car les adultes étaient des travailleurs subalternes, ils leur étaient par conséquent inférieurs. Angka deviendrait maintenant leur famille. Le commandant poursuivit son discours bien rodé pendant une heure.
Les villageois terrifiés écoutaient, abasourdis par cette jeunesse endoctrinée. Dara se balançait en essayant de rester debout devant lui. De temps en temps, le garçon tirait sur sa corde et cela réveillait son attention.
Une fois que le commandant eut fini, il concentra son attention sur Dara et dit aux villageois.
« Cette femme nous a menés à vous. Elle est faible et nous n’acceptons pas les faibles ». Il resserra le nœud autour du cou de Dara et la traîna à lui. Se saisissant du nœud, il releva son menton pour étendre sa gorge et l’ouvrit avec un couteau tranchant. Dara était trop faible pour tenter de résister. Tandis que sa salive, le sang et l’air gargouillaient de sa gorge, elle devint toute molle. Le commandant jeta son corps sur le sol, se pencha, essuya son couteau sur ses vêtements avant de le replacer dans sa gaine. Il cria des ordres à ses soldats, désigna le cadavre de Dara et envoya un sombre avertissement aux villageois :
« Obéissez à Angka ou vous mourrez ! ».
Les villageois fixèrent avec horreur les autres Khmers rouges qui leur criaient d’aller chercher leurs affaires et de se retrouver ici.
Les villageois quittèrent la cabane communale et se rendirent dans leurs résidences respectives pour faire leurs bagages, pendant que les Khmers rouges tournaient autour des familles terrifiées, en les pressant.
Rotha, Tu, Ravuth et Oun rentrèrent dans leur cabane. Tu se concerta avec Rotha, qui, bien que secouée par les événements, fut d’accord. Avec des tremblements dans la voix, Tu ordonna aux enfants :
« Vous deux, vous allez vous échapper et vous cacher dans la jungle. Lorsque nous serons partis, revenez et restez ici. Lorsque nous découvrirons ce qui se passe et si la sécurité revient, nous serons de retour ».
Les garçons, bien qu’effrayés, furent d’accord, en espérant que cela ne durerait pas.
Rotha regarda au dehors, vit un Khmer rouge qui s’éloignait de leur cabane pour surveiller une autre famille, et elle n’en voyait pas d’autre à proximité.
« Vite, Ravuth ! Tu sors en premier », murmura-t-elle.
Ravuth descendit prudemment les marches et parcourut la courte distance qui les séparait de la jungle, se cacha derrière le premier bosquet d’arbres, attendant son frère.
Il vit Oun en bas des marches, mais un Khmer rouge marcha vers lui, s’arrêtant à la hauteur du garçon. Le jeune soldat agita son fusil vers Rotha et Tu, leur ordonnant de descendre immédiatement. Le cœur de Ravuth se mit à battre à tout rompre et il se cacha derrière le tronc épais de l’arbre.
Les cris du Khmer rouge diminuèrent et Ravuth jeta un coup d’œil. Il vit sa mère, son père et son frère emmenés avec les autres vers la hutte communale. Réalisant que personne n’avait remarqué sa fuite, Ravuth se déplaça en cercle autour des habitations, profitant des arbres et des feuillages de la jungle, pour observer ce qui se passait dans le village.
Les villageois restèrent dans la grande cabane pendant une heure avant d’en ressortir et d’être canalisés hors de la cabane.
Les Khmers rouges se dirigèrent vers la foule et traînèrent quatre villageois plus âgés. Ravuth espérait qu’ils les laisseraient dans le village. Il s’imagina qu’ils pourraient s’occuper de lui jusqu’à ce que ses parents et Oun reviennent.
Le commandant afficha un rictus pendant que ses soldats poussaient les quatre vieillards sur le sol et les tuaient d’une balle dans la tête.
Tout le monde se mit à crier lorsque les Khmers rouges pointèrent leurs fusils vers la foule frappée de panique. « Silence, ou vous êtes morts ! ».
« Restez tranquilles ! », cria le commandant en s’adressant à la foule, attendant d’avoir leur attention. « Ceux-là sont si vieux qu’ils ne peuvent rien produire pour Angka. Leurs vies ne valent rien pour Angka et leur mort n’est pas une perte ».
Tremblants et effrayés, les villageois avaient l’air d’un groupe de réfugiés abattus et brisés. Ils se traînèrent le long de la piste qui menait à Koh Kong pour rejoindre l’exode des populations rassemblées pour travailler dans les camps.
Les Khmers rouges laissèrent les villageois emporter leurs maigres possessions, qu’ils leur confisqueraient à la fin de leur voyage.
Deux soldats khmers rouges restèrent. Ravuth les regarda traîner le corps de Dara hors de la cabane communale et le décharger avec les quatre autres. Prenant un bidon d’essence dans l’abri du générateur, ils arrosèrent plusieurs baraques et les cadavres. Ils ricanèrent en mettant le feu. Ces assassins étaient des adolescents qui ne montraient pas la moindre trace d’émotion ou de remords. Un soldat, qui s’amusait à frapper les têtes des cadavres en feu avec un bâton, leva les yeux et vit un mouvement dans la jungle. Il cria vers son camarade, qui attrapa son fusil et courut vers la cachette de Ravuth et s’arrêta.
« Tu as cru voir quelque chose. Il n’y a rien ici », dit le jeune homme.
« Je suis sûr que j’ai vu quelqu’un », dit l’autre, contrarié.
« Tu veux pénétrer dans la jungle plus avant ?
- Pas vraiment. Je ne sais pas ce qu’on va trouver là-dedans, peut-être une bête sauvage. Viens, rattrapons les autres ».
- Très bien. Puisque tu as peur, partons », se moqua le premier soldat. Ils tournèrent les talons et coururent à travers le village pour rejoindre la piste.
Ravuth tremblait. Il recula davantage dans l’épais feuillage. Le Khmer rouge s’était approché à 30 cm de son visage.
Bien trop effrayé pour se déplacer dans la chaleur éclatante de la journée, Ravuth retourna au village à la tombée de la nuit, étourdi, assoiffé et les idées embrouillées. Il traversa le village déserté, enjambant les corps incandescents, puis rejoignit sa maison. Les Khmers rouges avaient brûlé certaines cabanes et la cabane communale, mais ils avaient laissé sa maison relativement indemne. Il constata que tout avait été emporté, soit par ses parents, soit par pillage. Ravuth s’accroupit et pleura. Il resta là pendant toute la nuit, se demandant ce qui s’était passé et que faire. L’aube vint et, avec les premiers rayons de lumière, il vit une boîte en feuilles de banane qui dépassait du plancher dans un coin de la pièce. Il comprit que ses parents avaient sûrement essayé de la dissimuler aux Khmers rouges. Il prit la boîte et l’ouvrit. L’étrange plante était à l’intérieur avec quelques bijoux sous les photographies de sa famille. Il prit les photos et, des larmes dans les yeux, il frappa les images individuelles, se demandant ce qui leur était arrivé.
Ravuth se sentait seul, effrayé et perplexe. Il replaça les photographies dans la boîte, quitta la cabane et erra dans le village à la recherche de nourriture, d’eau ou d’objets utiles abandonnés. Traversant les vestiges macabres, il alla de cabane en cabane, fouillant et ramassant tout ce qui pouvait servir. Il trouva une machette, il mangea et but un peu d’eau. Il enveloppa la nourriture dans une feuille de banane, puis il remplit des gourdes en puisant dans les réservoirs d’eau de pluie. Sa connaissance des plantes comestibles et des sources de liquides lui permettrait de survivre dans la jungle. Prenant la boîte, la machette et d’autres objets qu’il avait trouvés, Ravuth traversa le village et emprunta la piste qui menait à la route de Koh Kong.
* * *
Cela faisait deux heures que Ravuth marchait le long de la piste au milieu de la jungle. Il avait parcouru ce trajet plusieurs fois avec son frère et son père, mais une fois que Tu était arrivé à la route avec les autres villageois et s’éloignait en pédalant, les deux frères revenaient au village. Il quitta la jungle, emprunta la route inconnue et marcha le long des bas-côtés au cas où il rencontrerait des patrouilles de Khmers rouges. Sa longue marche jusqu’aux abords de la ville se fit sans incident, sans rencontrer de trafic ni d’habitants. Il vit que plusieurs maisons en bois le long de la route avaient été détruites et pillées.
Progressant dans les faubourgs de la ville de Koh Kong, Ravuth traversa le centre-ville qui semblait mystérieusement dépourvu d’habitants. Il continua pendant quelques kilomètres jusqu’à ce qu’il atteigne le poste-frontière. Il se cacha derrière la cabane dès qu’il vit un Khmer rouge assis contre un grillage nouvellement construit le long de la frontière avec la Thaïlande.
Les traits sans expression de l’enfant-soldat déclenchèrent une peur renouvelée chez Ravuth. Il s’éloigna en rampant du poste-frontière et retourna vers le centre-ville déserté. Ravuth pénétra dans un petit café abandonné et se ravitailla en nourriture et en eau grâce au peu de restes qu’il trouva. Il s’assit et réfléchit à sa situation.
La nuit tomba et Ravuth n’avait pas encore décidé quel parti prendre. C’est alors qu’il entendit le bruit d’un véhicule qui s’approchait. Terrifié, il se cacha sous une table au moment où un vieux camion s’arrêtait devant le café. Six Khmers rouges entrèrent et s’assirent à une table.
Tremblant de peur, Ravuth restait immobile tandis que les jeunes soldats démarraient un petit générateur pour illuminer la salle et s’asseyaient. Ravuth tremblait, blotti sous une table dans un coin sombre du café.
Un soldat amena plusieurs bouteilles de whisky du Mékong et ils burent.
Ravuth écouta le jeune Khmer rouge fanfaronner sur leurs atrocités quotidiennes, racontant qui ils avaient massacré et des détails sordides sur comment ils l’avaient fait. Ils parlèrent de leurs butins de guerre et des objets qu’ils avaient volés. L’un d’entre eux mentionna quelque chose qui intéressait Ravuth.
« Mon groupe s’est rendu directement à *Choeung Ek, mais nous avons sélectionné ceux qui feront de bons citoyens Khmer rouge et de bons camarades de combat », expliqua-t-il.
« Nous avons rassemblé quatre groupes aujourd’hui, ils sont partis dans la commune de la province de Koh Kong pour renforcer nos rangs », dit un autre.
« La plupart des autres étaient de vieilles gens indésirables, aussi nous les avons éliminés », a dit un troisième, ajoutant : « Mais nous nous sommes amusés à les éduquer ». Il eut un rictus et montra aux autres sa machette tachée de sang.
Les garçons échangèrent ces horribles détails pendant un moment ; Ravuth entendit ensuite des jurons et des ricanements puérils à mesure que le whisky faisait son effet sur les gamins.
Trente minutes plus tard, les Khmers rouges sortirent en titubant du café, remontèrent dans leur véhicule, qui s’éloigna dans un crissement.
Ravuth sortit de dessous la table. Le café était éclairé, aussi il chercha dans le café redevenu silencieux toute information sur les communes de Koh Kong et Choeung Ek. Il ne connaissait rien ni sur l’une ni sur l’autre. Ne sachant pas lire, il trouva des prospectus avec des images, qu’il plaça dans sa boîte.
Après une nuit passée dans le café, tôt le matin, Ravuth sortit à pied de Koh Kong-ville et se dirigea vers son village dans la jungle pour attendre sa famille. Il ne s’était pas aperçu qu’il était suivi, quand il entendit une voix hurler derrière lui alors qu’il longeait une route à l’extérieur de Koh Kong : « Toi… Arrête-toi ! ».
Il se retourna et vit une jeune fille khmère rouge qui pointait un pistolet automatique sur lui, tout en essayant de garder son équilibre sur la barre horizontale de sa bicyclette. « Viens ici ! », fusa-t-elle.
Ravuth s’approcha de la fille au visage noirci qui le fixait. Bien qu’elle ait l’air plus jeune et plus petite que Ravuth, il ressentit un frisson glacial le long de la colonne vertébrale lorsqu’il croisa son regard.
« Pourquoi n’es-tu pas avec les autres ? Où est ton village ? », cria-t-elle.
Ravuth trembla et, les mains jointes, il plaida : « Je m’excuse, ils m’ont laissé derrière quand je me suis arrêté pour me reposer ».
La fille lança un regard furieux à Ravuth. « Suis-moi », cria-t-elle, puis elle descendit de sa bicyclette et la retourna.
Ravuth fut terrifié en voyant quatre autres Khmers rouges qui s’approchaient à vélo. Il paniqua, prit sa machette de sa ceinture et donna un coup violent sur le bras de la jeune Khmère de toutes ses forces. La fille, occupée avec le guidon, fut incapable de se réagir pour se protéger, Elle émit un cri de douleur quand la lame entailla profondément sa chair jusqu’à l’os. Elle lâcha le pistolet et Ravuth la fit tomber de son vélo, replaça sa machette dans sa ceinture, enfourcha le vélo et pédala à travers à travers les champs de riz. Se dirigeant vers les Montagnes des Cardamomes et la sécurité de la jungle, les balles sifflèrent à ses oreilles comme il pédalait pour sauver sa vie.
Pédalant pendant ce qui lui sembla une éternité, et n’entendant plus de coups de feu, Ravuth s’arrêta à l’orée de la jungle, poussa la bicyclette dans les feuillages et se cacha derrière un bouquet d’arbres. Il jeta un coup d’œil pour voir s’il pouvait voir ses poursuivants. Ravuth aperçut quatre petits points noirs lointains qui se dirigeaient dans sa direction. Il avait réussi son début de fuite, mais savait qu’il devait se mettre en sécurité à l’abri du feuillage dense. Ravuth courut à travers la végétation épaisse, suivant des pistes étroites jusqu’à entrer dans un terrain épais, accidenté et impénétrable.
« Ils ne pourront plus me trouver maintenant », pensa-t-il, et il se mit à courir dans le sous-bois dense.
Épuisé, Ravuth avait couru à travers cette section non familière de la jungle pendant plus de trois heures. Arrivant dans une clairière recouverte d’un toit végétal épais, qui laissait cependant passer un peu de lumière, il se cacha là. Se sachant en sécurité et en position de repérer tout poursuivant, il s’assit au pied d’un arbre diptérocarpe géant, sur le qui-vive.
Ravuth resta là pendant deux jours, se nourrissant de la végétation abondante qui l’entourait. Réalisant qu’il avait semé ses poursuivants, il se mit en quête de rejoindre son village.
Ravuth se sentait en sécurité dans la jungle et marcha toute la nuit, profitant de la clarté de la lune. Il se reposait pendant les journées torrides, piégeant et cueillant en fin d’après-midi jusqu’au crépuscule.
Sans direction précise à suivre, à la différence des environs du village, où il connaissait la plupart des pistes et la végétation familière, il était perdu. À l’aube du dixième jour, il déboucha sur un sol dégagé. Un remblai laissait place à une étroite vallée où il vit un grand corral, entouré d’une clôture métallique en grillage.
Ravuth pouvait distinguer plusieurs rangées de bivouacs en toile, ainsi que quelques tentes militaires de plusieurs tailles. Il voyait des gens qui déambulaient derrière le grillage. Certains groupes cuisinaient sur des feux de bois ouverts. Ravuth pouvait sentir les arômes de la nourriture cambodgienne, ce qui lui donna l’eau à la bouche. « Ceci doit être l’un des lieux dont avait parlé le Khmer rouge. Je me demande si ma famille est ici », pensa-t-il. Rampant autour du grillage, il observait les habitants du camp jusqu’à ce qu’il atteigne une porte. Ravuth se sentait exposé à découvert, aussi il se cacha dans un coin sombre et observa.
Ravuth vit des véhicules militaires et des soldats aller et venir toute la journée. Il remarqua que le personnel militaire n’était pas composé de Khmers rouges. Ils étaient plus âgés et habillés en uniformes de camouflage. Il se déplaça le long de la clôture, surveillant les activités à l’intérieur du camp. De temps en temps, il regrimpait sur le remblai pour obtenir une meilleure vue depuis la jungle, mais il ne pouvait reconnaître aucun des membres de sa famille ou du village. La nuit tomba, aussi il longea la clôture, trouva un coin dégagé, et à l’aide de ses mains, il creusa une petite tranchée en dessous du grillage métallique. Il traversa en se glissant et rampa vers la tente la plus proche. Ravuth s’accroupit, regarda devant, souleva un coin et…
« Qui es-tu ? », dit une voix masculine derrière lui dans une langue inconnue, « Lève-toi et tourne-toi ».
Ravuth, enveloppé par une forte lumière dans son dos et effrayé parce qu’il ne pouvait comprendre les instructions de l’homme, se leva instinctivement et se retourna, aveuglé par la lumière.
*En annexe

2
Le phénomène de la pâtisserie
Le maître de cérémonie s’éclaircit la gorge et annonça : « Le trophée du Pâtissier de l’année est décerné à.. », faisant une pause pour ménager son effet alors qu’il jetait un coup d’œil au nom écrit au dos d’une carte de couleur or. « Pour la troisième année d’affilée », il fit face au public en souriant. « Le pâtissier représentant l’Hôtel Avalon », nouvelle pause avant d’annoncer : « M. Ben Bakewell ! ». Il se mit à applaudir, invitant la salle à faire de même dans cette suite de conférence cossue de Park Lane Hilton. Des acclamations et des murmures fusèrent tandis qu’un homme portant un costume mal ajusté s’avança d’un pas traînant vers la scène.
« Bien joué Cake », dit le Maître de cérémonie tandis que le boulanger atteignait la plateforme et lui serrait la main.
Bien que Cake ait déjà remporté cette distinction trois ans de suite, il se sentait encore mal à l’aise en tenant la petite effigie. Son discours d’acceptation fit écho aux années précédentes. « Merci », marmonna-t-il dans le micro, rougissant. Il soupira, quitta la scène et se précipita vers la table pour rejoindre ses collègues.
La cérémonie des récompenses touchait à sa fin, au grand soulagement de Cake. Plusieurs critiques étaient sur la scène, en pleine discussion sur les différents plats qui avaient remporté des prix. Cake exécrait ce genre de manifestations et jugeait les critiques de la restauration aussi utiles que des pets dans une passoire, incapables de faire bouillir un œuf et étrangers à cette activité. Malgré cela, il recevait toujours des critiques élogieuses. L’un avait décrit son *Œuf dans un nid Avalon comme une explosion parfaite d’arômes créant un orgasme buccal et avait dit que chaque plat créé par Cake avait un goût parfait. Cependant, Cake avait toujours eu l’impression qu’ils étaient moyens et considéraient que ses plats manquaient de quelque chose sans pouvoir trouver ce que c’était.
Cake arriva chez lui à environ 23 heures, après un long trajet dans la capitale. Jade était déjà revenue de son escapade de cinq jours à Lincoln. Cake, enthousiaste, voulait savoir comment leur pâtisserie progressait. Il se laissa tomber dans une chaise de la salle de séjour tandis que Jade lui apportait un verre de vin, et ils se mirent à l’aise. Il lui montra le chèque de récompense pour la compétition, elle sourit et lui montra des images vidéo du travail en cours.
* * *
Benjamin Bakewell, surnommé Cake aussi longtemps qu’il pouvait se souvenir, avait une réputation impeccable dans le monde de la cuisine. Chaque grand chef et établissement de restauration haut de gamme connaissait Cake. Il occupait la position de chef pâtissier à Avalon depuis trois ans. Ses gâteaux et pâtisseries signés faisaient envie à tout chef pâtissier en raison de la préparation unique de Cake, que beaucoup échouaient à répliquer.
Cake était né dans la banlieue de Louth dans le Lincolnshire, une petite ville rurale, à quarante kilomètres de la ville de Lincoln. Sa famille possédait une ferme de cent hectares cultivables à la périphérie de la ville et cultivait du blé, de l’orge et du houblon. Son surnom, Cake, provenait de son nom de famille et de son amour de la pâtisserie. Il avait suivi sa scolarité à l’école primaire, mais tandis que les autres s’adonnaient au sport et au divertissement pendant leur récréation, lui se trouvait dans la cantine de l’école et aidait les cuisiniers.
Les parents de Cake avaient toujours su qu’il avait flair inhabituel. Il pouvait détecter tous les ingrédients d’un plat quelconque et ajoutait des composants lorsqu’il jugeait que cela pourrait relever son goût jusqu’à ce que son palais parfait le trouve acceptable. Cake ne mangeait pas ni ne manipulait la viande, car celle-ci ne dégageait pas d’arômes parfumés, sa texture procurait une sensation granuleuse et dure, et son goût le faisait vomir. Il tolérait certains aliments marins, mais seulement s’ils étaient frais et modérément parfumés, tels que la lotte ou les pétoncles, auxquels il pouvait ajouter des herbes et des épices pour masquer l’odeur et le goût du poisson. Personne ne pouvait comprendre le don inhabituel de ce garçon, et il fallut de nombreuses années avant que quiconque ne découvre la raison de son sens élevé du goût et de l’odorat. Seul Cake pouvait percevoir l’odeur et le goût du monde en détectant les senteurs et les parfums flottant dans l’air. Pendant ses jeunes années à l’école, il utilisa son talent unique pour gagner des bonbons et autres friandises de ses camarades d’école en devinant ce qu’ils avaient mangé au petit déjeuner ce matin-là en humant leurs pets. Ceci devint également un tour facile pour les fêtes et réunions à mesure qu’il grandissait.
Cake passa une enfance heureuse, avec de nombreux amis, quoique les filles l’évitaient à cause de sa propension à renifler l’air environnant, ce qui était rebutant. Ses camarades trouvaient cela très amusant, mais il arrêta de le faire quand sa mère lui dit que ce n’était pas un comportement poli et qu’un jour, s’il voulait fréquenter une fille, renifler son derrière n’était pas la meilleure manière de l’attirer. Cake aidait dans la ferme pour les moissons. Son moment favori de l’année était le printemps, quand la flore et la faune pollinisaient et fleurissaient, et que les odeurs faisaient exploser son univers dans un hypermonde extatique. Il aidait également sa mère et sa grand-mère à faire cuire du pain, des gâteaux, des tartes et des pâtes pour sa famille et les agriculteurs de la ferme. Cake concentrait son don sur la pâtisserie, car les arômes et goûts savoureux et sucré flattaient ses sens. Le jeune Cake se trouvait toujours dans la cuisine et gloussait de plaisir chaque fois qu’il retirait un plateau de sa nouvelle création du four. Les odeurs délicieuses sortant du four flottaient dans la cuisine de la ferme tandis que sa grand-mère arrêtait de papillonner et venait voir quelle délicieuse friandise Cake avait inventé.
Sa grand-mère voyait un éclair dans ses yeux quand il disait : « Mamy, un jour je serai le pâtissier le plus célèbre d’Angleterre… et peut-être du monde ».
Sa grand-mère soupirait et répondait avec un sourire narquois. « Oui, Cake, je sais ».
Il avait accumulé les livres et magazines de cuisine au fil des années et reproduisait toutes les recettes de gâteau trouvées, en ajoutant des herbes et des épices qu’il mélangeait pour rehausser les arômes, en les rendant uniques. Bien que Cake trouve toujours que quelque chose manquait, sa grand-mère, Pearl, l’assurait qu’un jour, il découvrirait SON épice parfaite.
À peine adolescent, Cake s’était mis au kickboxing. Il était grand et mince et les arts martiaux avaient rendu son corps plus musclé, mais ses jambes et ses bras restaient maigres, quelle que soit son ardeur à l’entraînement.
Cake était un garçon au physique agréable avec son visage fin, ses yeux noisette et ses cheveux châtain foncé. Il ressemblait à Kevin Costner jeune, bien que sa silhouette dégingandée et étrange lui donne une apparence de clown et, dans son adolescence, les filles commencèrent à le remarquer, maintenant qu’il avait arrêté de les renifler.
Sa famille supposait qu’en quittant l’école, Cake rejoindrait l’activité familiale et deviendrait un fermier. Cependant, ses rêves et ambitions étaient à mille lieues des leurs, car il voulait suivre une école culinaire. Ses parents lui interdirent et offrirent un compromis. Avec sa mère et sa grand-mère, il pourrait ouvrir une entreprise de pâtisserie et tous les trois mettraient la main à la pâte, tandis que ses sœurs vendraient leurs produits à des entreprises dans Louth et alentour. Cake avait accepté le compromis, sachant très bien que cela demanderait de travailler pendant de longues heures et de renoncer à son entraînement de kickboxing, mais la pâtisserie était sa passion. Son grand-père les laissa utiliser une vieille grange et acheta deux fours à gaz d’occasion, avec la grande cuisinière en fonte AGA dans la cuisine principale. La famille acheta une pétrisseuse et d’autres appareils de pâtisserie, y compris des étagères, des réfrigérateurs et des meubles de rangement, selon les instructions de Cake, le tout formant une fabrique de pâtisserie rurale pittoresque. Son père avait mis à leur disposition l’une des Land Rovers de la ferme, ce qui lui permettait de parcourir les environs de la petite ville afin de trouver des usines et des boutiques susceptibles de vendre leurs produits. Cake s’en était tenu à un fonctionnement simple. Bien qu’il adore expérimenter, la famille avait limité la production aux pains, petits pains, baguettes, gâteaux et tartes.
Après la période des moissons, l’entreprise de Cake prit son envol. Les fours démarraient tôt le matin et la première livraison quittait la boulangerie dès six heures. Les sœurs livraient les premières fournées avant d’aller à l’école et Cake s’occupait de la cuisson et de la livraison pour le reste de la journée. Cette organisation était efficace et ils furent rapidement inondés de commandes. L’activité pâtissière devenait un revenu lucratif pour la ferme. Malgré son bonheur, Cake ne se contentait pas de sa situation. Plus il lisait de magazines de cuisine sur les nouvelles techniques et recettes créées dans les grandes pâtisseries, restaurants, hôtels, ainsi que les compliments adressés aux grands chefs, plus Cake aspirait à la célébrité.
Par un matin ensoleillé d’été, au moment où il sortait une fournée de « rouleaux du laboureur » croustillants, il reçut un coup de téléphone de Bill, le propriétaire du bar « Rising Sun ».
« Salut Cake, commença Bill, j’ai un client qui veut discuter avec toi. Peux-tu venir ? ».
« Qu’est-ce qu’il veut ? », demanda Cake.
« Je ne sais pas, viens le rencontrer et tu sauras ce qu’il en est », dit Bill, d’un ton vague.
Cake, intrigué, regarda sa montre et dit à Bill : « J’arrive, donne-moi environ vingt minutes ». Cake se changea et se rendit en ville.
* * *
Il arriva au Rising Sun et vit Bill, qui souriait et lui parla du client. « Il a mangé ton sandwich gourmet avec une tranche de gâteau le premier jour et aujourd’hui, il a commandé plusieurs de tes sandwiches et tranches de gâteau. Je l’ai vu manger une bouchée de chacun, les envelopper dans une serviette en papier, et les placer dans un fourre-tout ». Bill se gratta le menton et continua : « Aujourd’hui, il m’a demandé qui avait fourni ma pâtisserie et quand je lui ai dit que c’était un pâtissier local, il s’est présenté et a insisté pour te parler. Je n’aurais pas fait attention, mais il a prétendu être célèbre, bien que je n’ai jamais entendu parler de lui ».
« C’est étrange », répliqua Cake en fronçant les sourcils « quel est son nom ? ».
Bill réfléchit et dit « Jimmy quelque chose… j’ai oublié son nom, mais il est assis là-bas », en montrant l’homme assis dans la réception en train de lire un quotidien.
Cake s’approcha de l’homme, qui abaissa son journal en souriant. Il posa le journal sur la table et demanda à Cake de s’asseoir. Cake eut le souffle coupé lorsqu’il reconnut l’homme. Il avait lu des articles dans les magazines britanniques et savait tout le prestige qui entourait l’individu au petit visage rond, au front dégarni.
« Je suis Jimmy Constable, le chef pâtissier dans la pâtisserie Harrods ».
Cake serra la main de Jimmy, puis répondit avec un tremblement dans la voix : « Oui, je sais qui vous êtes, tout le monde m’appelle Cake ».
« Je suis enchanté de vous rencontrer, Cake », dit Jimmy. « Que puis-je faire pour vous, est-ce que quelque chose n’allait pas avec les plats ? », demanda Cake, l’air préoccupé.
Jimmy répondit avec un grand sourire : « Non, c’était parfait ». Il ajouta : « Il y a quelques jours, je voyageais vers Hull pour interroger un candidat pour un poste chez Harrods et je me suis arrêté ici pour prendre un en-cas. Je m’attendais à une cuisine fade, sèche de routier ». Il se pencha en avant et ajouta : « Au contraire, les arômes et textures du rouleau et des gâteaux m’ont enchanté ; j’avais du mal à croire en de telles sensations. Je suis revenu le lendemain pour goûter d’autres spécialités du menu et me régalais à nouveau avec les arômes uniques et distincts ». Il regarda Bill qui souriait et murmura : « Cela avait bien meilleur goût que la bière épouvantable ».
Cake, ravi d’entendre Jimmy chanter ses louanges, expliqua comment il avait reçu son surnom, lui parla de l’entreprise de sa famille et l’invita à la visiter. Jimmy fut d’accord, ils quittèrent le Rising Sun et se rendirent à la ferme Bakewell.
Jimmy explora la pâtisserie de la ferme et reprit des échantillons de quelques produits de Cake, avec un sourire de plaisir sur son visage à chaque bouchée.
« Avez-vous des diplômes en pâtisserie ? », demanda Jimmy.
« Non, répliqua Cake, désolé ».
Jimmy sourit. « Ce n’est pas grave, je n’avais pas goûté de mets aussi bons depuis longtemps, aussi nous pouvons nous passer des formalités administratives. J’aimerais que vous fassiez quelque chose pour moi ».
Cake, confus, demanda : « se passer des formalités administratives pour quoi ? ».
Jimmy ignora sa question et sortit un magazine de son sac. Il montra à Cake une photographie d’une tranche de crème anglaise recouverte de glaçage blanc et lui dit : « Pouvez-vous confectionner l’une de celles-ci ».
Cake regarda la photographie. « Pourquoi un chef pâtissier voudrait-il me faire préparer une simple tranche de crème anglaise ? », pensa-t-il perplexe, et répliqua : « Bien sûr ».
« Veuillez m’en préparer une », dit Jimmy en souriant.
« Une seule ? », demanda Cake.
« Oui, une seule », répondit Jimmy.
Jimmy s’assit, observant Cake tel un derviche tourneur, évoluant au milieu de ses pots et récipients d’ingrédients. Sans utiliser de balance de pesée, il fit valser ses cuillers et tamis, et mélangea les ingrédients, flairant et goûtant jusqu’à ce qu’il apparaisse satisfait et obtienne une réplique exacte de la page sur papier glacé. Il plaça celle-ci dans un four. Ils bavardèrent pendant un moment de Londres et de cuisine jusqu’à ce que Cake sache que la tranche de crème anglaise était prête. Il la sortit du four et étala le glaçage sur le dessus.
Jimmy respira l’arôme délicieux et sourit.
En attendant que le glaçage durcisse, Cake demanda à Jimmy : « Pourquoi vouliez-vous que je vous prépare une simple tranche de crème anglaise ? ».
Jimmy regarda Cake en souriant : « Elles ne sont pas si simples et peuvent être fades ». Je recherche toujours quelqu’un qui pourrait produire un arôme unique et transformer un mets fade en quelque chose de spécial », répliqua Jimmy.
« Vous recherchez quoi au juste ? », demanda Cake, ne pouvant cacher son trouble.
Jimmy regarda Cake et lui dit : « Un assistant ».
Cake fut abasourdi quand Jimmy poursuivit : « Un poste est libre chez Harrods pour un assistant-chef pâtissier, mais je n’ai pas encore pu trouver un candidat qui convienne ».
Confus, Cake tendit la tranche de crème anglaise chaude à Jimmy, qui goûta une bouchée de la pâtisserie sucrée et croustillante. Les arômes explosèrent dans sa bouche dans un mélange de goûts subtils qui relevaient la crème à la vanille et le glaçage.
« Le talent de ce garçon est phénoménal », pensa Jimmy avant d’annoncer : « Ce poste d’assistant est à vous, jeune Cake ».
Le cœur de Cake fit un bond, car il savait qu’il n’obtiendrait jamais une opportunité comme celle-ci. C’était son rêve, mais un obstacle se dressait sur son chemin. Il dit en soupirant : « J’adorerais venir à Londres et travailler pour vous, Jimmy, mais je dois m’occuper de la pâtisserie familiale ».
Jimmy, d’un ton déçu, regarda Cake, et dit avec un sourire en coin : « Si vous voulez le poste, je vais parler à votre famille, je peux être très persuasif ».
Cake sourit et, d’un air de petit chien excité, répondit : « Merci Jimmy ». Il jeta ensuite un coup d’œil à sa montre et ajouta : « La famille est à l’étage ».
* * *
Jimmy et Cake pénétraient dans l’immense section pâtisserie d’Harrods, une semaine après la discussion avec la famille de Cake qui, sachant que cela avait toujours été son rêve, avait accepté. Jimmy offrit à Cake une visite de la boutique prestigieuse. Cake ne pouvait détacher ses yeux des présentoirs en verre de la section pâtisserie d’Harrods, qui ressemblaient à des œuvres d’art. Jimmy l’amena à sa salle dans les locaux du personnel et lui remit plusieurs tenues de chef ornées du petit logo doré Harrods.
Cake se sentit richissime tandis qu’il revêtait sa tenue blanche et se rendait dans la pâtisserie efficace, bien organisée et impeccable, chaque employé connaissant bien sa routine. Cake était en admiration à mesure qu’il découvrait les fours et équipements modernes.
« OK, Cake, lui dit Jimmy, fais un tour et prends tes repères, puis je veux que tu me prépares deux douzaines d’éclairs au chocolat ».
« D’accord, chef ! », répondit joyeusement Cake, se mettant au travail.
Cela prit un moment pour que Cake s’établisse dans sa nouvelle vie. Au début, le personnel de la pâtisserie Harrods se comporta froidement avec lui. Ils étaient jaloux et ne comprenaient pas comment un jeune fermier sans qualifications avait atterri au poste enviable d’assistant du chef pâtissier. Cependant, une fois qu’ils eurent goûté ses gâteaux et pâtisseries, ils réalisèrent qu’il était spécial et méritait le poste. Cake travaillait dur et passait la majeure partie de son temps à la pâtisserie.
Sa réputation se répandit dans le monde culinaire de Londres. Les ventes de la pâtisserie Harrods augmentèrent et Cake fut rapidement demandé par les concurrents. Il gagnait beaucoup d’argent et faisait ce qu’il adorait, la cuisine.
Jimmy devint son mentor et apprit à Cake de précieuses astuces et techniques. Cependant, Cake se sentait limité dans ses expérimentations chez Harrods. Le menu fixe changeait rarement et il n’y avait pas place pour l’innovation. Cake manquait de défis et le travail devint rapidement banal. Il reprit le kickboxing pour rompre la monotonie.
Bien qu’il décline les postes dans d’autres pâtisseries et restaurants de prestige, Jimmy l’encourageait à faire progresser sa carrière, lui conseillant d’accepter un autre poste si l’occasion se présentait. Cette ouverture arriva alors que Cake avait vingt-quatre ans. L’hôtel Savoy l’approcha pour devenir son chef pâtissier, ce que Cake considéra.
On lui offrait une augmentation de salaire généreuse et il contrôlerait le menu des gâteaux et pâtisseries, il pourrait expérimenter ses recettes, sachant que la responsabilité de la réussite du département lui incombait.
Cake discuta de l’offre avec Jimmy, qui lui conseilla d’accepter le poste.
* * *
Le Savoy, avait été construit à la fin du dix-huitième siècle. C’était un hôtel 5 étoiles dont l’opulence et la grandeur impressionnaient Cake, cependant le premier jour dans la pâtisserie fut un choc, car il avait l’habitude de travailler dans une pâtisserie tranquille et efficace. Les chefs tournaient dans la cuisine comme des poulets sans tête, tandis qu’un chef petit et gros braillait et leur criait dessus. Cake se rendit dans la section pâtisserie, où un pâtissier criait sur un personnel aux airs persécuté. Il se présenta comme chef pâtissier à l’assistant du chef pâtissier, qui sembla peu impressionné par son nouveau patron et, tout en aboyant des ordres à ses subordonnés, fit faire le tour de la maison à Cake.
Sans attendre, Cake mit de l’ordre dans la pâtisserie et réorganisa la section, forma les pâtissiers à ses techniques et recettes. Il vérifiait chaque produit qui quittait la zone. Il renvoya l’assistant-pâtissier et le lieu de travail devint serein et bien organisé, à la différence de la cuisine principale, avec son chaos désorganisé et ses chefs mégalomanes criant sur leurs larbins. Cela ne les empêchait pas de s’adresser avec respect à Cake, car ils savaient que, contrairement à Cake, ils n’étaient pas irremplaçables.
Cake aimait flâner le long de la Tamise et se posait souvent des questions sur ses sens extraordinaires. Il voulait en savoir davantage à ce sujet, aussi il prit rendez-vous avec le docteur Arnold Sagger, un éminent médecin spécialiste en génétique de la clinique Harley Street, qui préleva des échantillons d’ADN.
Le docteur fut abasourdi par les résultats. Cake possédait au moins un tiers de gènes récepteurs olfactifs en plus que les autres êtres humains, et davantage que la plupart des autres mammifères.
Le docteur avait mené des recherches sur des individus et c’est chez un sommelier italien qu’il en avait trouvé le plus, avec 980 gènes récepteurs, légèrement plus que la moyenne chez les êtres humains moyens, qui était inférieure à 900. Cake en possédait plus de 1400, légèrement moins que la souris, qui détient un record de 1500 gènes olfactifs.
Le médecin avait l’air excité lorsqu’il demanda à étudier Cake et faire des recherches sur sa mutation, mais parut déçu lorsque Cake déclina, au motif que le médecin lui donnait l’impression d’être X-Man. Il était simplement un gars normal doté de perceptions élevées et maintenant qu’il en avait trouvé la raison, c’était tout ce qu’il avait besoin de savoir.
Cake resta au Savoy pendant plusieurs années, son nom devint synonyme de grande confiserie. Sa réputation se répandit grâce à des articles sur son travail dans les journaux et magazines de cuisine qui le présentaient comme le « Le Pâtissier phénomène ». Le Prince Charles se faisait régulièrement livrer de la confiserie de Cake à Clarence House.
Cake eut plusieurs rendez-vous avec des femmes cheffes, qu’il trouvait d’habitude ennuyeuses et qui sentaient la graisse de cuisine.
* * *
Quelques années plus tard, le Savoy changea de mains. Les nouveaux propriétaires étaient une entreprise. Leur seule préoccupation était l’argent, le profit, les objectifs et les budgets. Cake passait plus de temps dans les papiers qu’à faire ce qu’il aimait, aussi il se découragea. Il avait reçu de nombreuses offres et après avoir pris conseil auprès de Jimmy, il accepta l’offre d’un nouvel hôtel à Richmond, dans le Grand Londres, l’Avalon. Il gagnerait la même chose qu’au Savoy avec des bonus et dirigerait la pâtisserie, certes, mais sans toute la paperasse qui serait gérée par un administrateur. Le Savoy proposa à Cake une augmentation de salaire substantielle et un bonus important pour l’inciter à rester, mais il refusa et quitta son employeur.
Cake appréciait le travail chez Avalon. Du haut de ses trente-trois ans, il se sentait à l’aise, goûtant les joies de la liberté et de la responsabilité.
Il avait gagné sa qualification pour la ceinture noire de kickboxing avant de quitter le Savoy. Après ses débuts à Avalon, il s’était rendu au Tojo Kickboxing Club, qui officiait dans le gymnase du Centre de loisirs Kings à proximité.
Là, pendant que quelques kickboxeurs s’entraînaient, il avait posé sa besace et faisait un tour dans le gymnase en attendant que quelqu’un remarque sa présence.
Une femme attirante vint et lui sourit.
Cake rendit le sourire, pensant en lui-même, un brin sarcastique : « Oh, elle est trop jolie pour être une kickboxeuse. Probablement une supporter ».
« Que voulez-vous ? », demanda la jeune femme avec un accent cockney prononcé.
« Je veux m’inscrire au club de kickboxing », répondit Cake.
« Pourquoi ? », répondit son interlocutrice, « vous croyez que vous êtes un dur ? ».
Les autres tout autour regardaient la scène, amusés.
« Assez dur », dit Cake, interloqué par la brusquerie de cette femme, « Je suis un… ».
Sa phrase fut arrêtée nette lorsqu’elle lui asséna un coup sur le nez.
Cake eut l’air choqué comme elle se préparait à le frapper à nouveau. Il bloqua son coup, aussi elle frappa sa jambe et recula dans une posture d’attaque.
« La première leçon, dit la femme, être toujours prêt ». Elle lança ensuite un assaut vicieux, frappant Cake de ses poings et de ses pieds. Il fut frappé à nouveau, bien qu’il ait bloqué la plupart des coups. En colère maintenant, il répliqua, en cognant son adversaire qui bloqua chacun de ses coups et le frappa à nouveau sur le nez. Cake devenait furieux. La jeune femme, remarquant cela, recula et sourit.
« D’accord, tu peux t’inscrire. Mais tu dois travailler sur ta défense et ton karma ; c’était trop facile de t’agacer pour te pousser à la faute ».
Cake fixait cette adversaire redoutable et s’aperçut que les autres kickboxeurs ricanaient, ne perdant pas une miette du spectacle.
« Mon nom est Jade », dit la femme en tendant la main. « Je suis l’instructrice en chef ».
Cake la regardait, perturbé. « Donc vous attaquez tout le monde ? Que serait-il arrivé si je n’avais pas pu me défendre ? Vous avez de la chance que je sois un kickboxeur ».
Jade ricana et répondit : « Je n’attaque pas tout le monde, seulement les présomptueux ». Elle indiqua le sac de Cake et le badge en coton brodé bien en évidence, représentant le logo Zendo de sa ceinture noire enroulée autour de se poignée.
Cake regarda son sac et sourit à la femme.
« Oh ! », balbutia-t-il, embarrassé. « Mon nom est Ben, mais tout le monde m’appelle Cake ».
* * *
Après ce contact initial musclé, Cake et Jade sentirent des atomes crochus. Cake trouvait Jade intrigante, terre à terre, et elle ne sentait pas l’huile de friture. Jade trouvait Cake gentil, humble et plutôt attirant. Tout le monde remarqua par leurs regards prolongés qu’ils étaient attirés, et les paris allèrent bon train sur lequel des deux aurait le courage d’annoncer sa flamme. Malgré leur sentiment profond réciproque, ils étaient tous les deux timides et n’étaient pas sûrs des sentiments de l’autre.
Cake ne pouvait détacher sa pensée de Jade et les séances de kickboxing devenaient l’événement majeur de sa semaine.
Le salon de coiffure où Jade travaillait organisa une réunion dans une boîte de nuit pour la soirée de Noël et Jade invita les kickboxeurs. Cake ne se sentait pas à l’aise dans la grande salle du nightclub. La fête prenait un air familier et des petits groupes se formaient. Jade se rendit compte que Cake semblait mal à l’aise comme un petit chiot perdu. Elle laissa son groupe de collègues coiffeuses et s’approcha de lui. Cake se tenait seul, debout, une bouteille de Bacardi Breezer à la main, regardant le parterre de danse bondé.
« Contente que tu aies pu venir », lui cria Jade pour couvrir la musique tonitruante.
« Merci de m’avoir invité ».
Il y eut ensuite un silence gêné tandis que la musique couvrait tout. Aucun des deux ne savait comment poursuivre et ils se regardèrent pendant un moment, jusqu’à ce que Jade se décide à demander : « Tu sens bon, qu’est-ce que tu t’es mis ? », pensant sûrement à son parfum après-rasage.
Cake sembla réfléchir, ricana et répliqua : « Un parfum pour les durs, mais je ne pensais pas que tu pourrais le sentir », répondit-il en riant.
Jade sembla confuse, puis comprit. Cela brisa la glace, et Jade rigola en disant : « Eh bien, cela serait dommage de le gaspiller ». Elle prit la bouteille de ses mains et la posa sur la table.
« Sortons de là et trouvons un endroit plus calme », dit-elle, suggérant : « Allons chez moi ».
Le couple sortit main dans la main du club, au milieu des acclamations des kickboxeurs.
Jade avait quelques années de plus que Cake, une chevelure châtain ondulée, des yeux marron et des traits malicieux. Elle avait l’air d’une Catherine Zeta-Jones en plus petite et plus musclée. Cake admirait son corps féminin bien dessiné comme ils reposaient enlacés, nus dans les bras l’un de l’autre par un matin de Noël glacé dans le lit à une place de l’appartement de Jade au-dessus du salon de coiffure.
Cake avait la nausée rien qu’en sentant les produits chimiques forts qui émanaient du salon, qu’il pouvait également sentir sur Jade, bien qu’elle ait meilleure odeur que les cuisinières qu’il connaissait.
C’était la première relation sérieuse pour chacun d’entre eux. Cake et Jade devinrent inséparables, passant tout leur temps libre ensemble. Cake informa Jade de ses sens olfactifs exceptionnels, l’assurant qu’il n’était pas un insolent borné lorsqu’il affirmait qu’il ne pouvait pas rester au salon le soir à cause des effluves nauséabonds. L’odeur d’ammoniac en particulier lui donnait des haut-le-cœur.
Bien qu’ils gagnent bien leur vie tous les deux, le prix astronomique des logements à Londres poussa Cake à s’inscrire à des concours de pâtisserie afin de pouvoir acheter un appartement.
Le couple réunit une somme conséquente et, à l’aide d’un prêt complémentaire, jeta son dévolu sur un appartement huppé entre Avalon et le salon de Jade dans le quartier résidentiel de Knightsbridge.
Follement amoureux, ils profitaient de leur vie à deux, prévoyant de se marier dès qu’ils se sentiraient prêts à fonder une famille.
Pour l’instant, ils appréciaient de vivre sous les feux de la rampe du « Pâtissier Phenom », grâce aux concours que Cake remportait les uns après les autres.
Jade surprenait Cake fréquemment. Elle était une coiffeuse-styliste dotée d’un sens tordu de l’humour. Elle affichait un intérêt étrange pour l’horreur, comme Cake le découvrit lorsqu’elle écrivit un roman sur un cocaïnomane qui sniffait les cendres d’un vampire inconnu désintégré qui s’avéra être Keith Richard, qu’elle publia.
En trois ans de travail chez Avalon, Cake s’était bâti une réputation de première classe. Lorsque les propriétaires annoncèrent qu’ils avaient vendu au profit d’une grande entreprise, Cake se rappela son expérience au Savoy et décida qu’il était temps de bouger et donna son préavis peu de temps avant le trophée du Pâtisserie de l’année.
En dépit des offres d’emploi d’autres restaurants très en vue et de l’offre d’une augmentation généreuse de sa rémunération par Avalon, Cake, au sommet de sa profession, voulait impliquer Jade dans une entreprise de pâtisserie.
Cake se réjouissait à l’idée qu’il participait pour la dernière fois au « Trophée du Pâtissier de l’année » ou à toute autre cérémonie de récompenses, car seuls les chefs parrainés par de grands hôtels et restaurants pouvaient se présenter. Cake se sentait toujours mal à l’aise et il réalisa qu’il avait l’air affreux dans son costume, son corps trapu se balançant sur des jambes maigres. Les meilleurs tailleurs londoniens lui confectionnaient des tailleurs sur mesure, néanmoins ils pendaient comme si une main maladroite et aveugle les avait faits. Il avait toujours ressenti cela comme une injustice face à ses rivaux car son sens olfactif élevé, son palais parfait et son talent exceptionnel lui donnaient un avantage définitif sur eux. Il voulait maintenant amener ses arômes et délicatesses du Sud et sa clientèle décadente pour les offrir au Nord. Le couple se fréquentait depuis trois ans déjà. Ils trouvèrent des locaux dans le centre-ville de Lincoln et les convertirent en une boulangerie-pâtisserie, ce dont Cake rêvait depuis longtemps.
Jade voulait tenter l’aventure au Nord avec Cake et l’aider dans ses efforts. Bien qu’elle soit satisfaite de sa vie à Londres et sache qu’elle regretterait l’argent et l’adulation londonienne que lui procurait son fiancé superstar de la cuisine, elle avait compris que Cake était malheureux de travailler dans les grands hôtels. Jade avait un travail bien payé et, en ajoutant le salaire de Cake et ses prix de concours, ainsi que ses bonus, malgré leurs remboursements de prêt à Londres, ils réunirent suffisamment d’argent pour financer leur affaire à Lincoln, qui était presque achevée ; Jade se rendait régulièrement à Lincoln pour vérifier la progression du bâtiment. Cake finissait son travail à Avalon dans quelques semaines, et ils déménageraient tous les deux dans la ville du Nord.
* * *
Le grand jour arriva et la « Boulangerie-Pâtisserie CAKE » ouvrit ses portes au public. Pour Cake et Jade, il était maintenant temps de voir si les fruits de leur travail allaient payer. Ils se tenaient dans la pâtisserie comme des parents fiers de montrer leur nouveau-né au monde.
« Cet endroit sent merveilleusement bon », dit Jade en embrassant Cake, qui préparait et était aux fourneaux avec ses deux boulangers depuis cinq heures du matin, propageant des arômes divins dans toute la boutique.
Cake avait l’air nerveux et jetait des coups d’œil au personnel debout devant les vitres des présentoirs remplis de pâtisseries et de gâteaux décoratifs. Il regarda ses deux boulangers à travers la cloison en verre de la boulangerie, puis se tourna vers Jade, soupira en plissant le front et demanda : « Est-ce que tout a l’air OK ? ».
Jade prit sa main et dit : « C’est parfait, ne t’inquiète pas ».
« Je ne vois personne faisant la queue dehors », dit Cake en regardant à travers la vitrine. Il jeta un coup d’œil à la pendule. « Il est sept heures quarante-cinq », lança Cake, bougeant nerveusement.
Deux hommes frappèrent alors à la porte.
« Il était temps qu’ils arrivent », dit Jade, qui déverrouilla la porte, laissa entrer les hommes, et reverrouilla la porte.
« Désolé, nous sommes en retard », dit Kris Pinyoun, gardien de but du Lincoln city FC, qui arrivait avec un photographe de la gazette de Lincoln pour couvrir l’ouverture de l’établissement.
Jade regarda dehors, soupira, et verrouilla la porte.
Cake, Jade, les serveuses et Kris se dirigèrent vers le centre de la boutique et se tinrent autour d’un gâteau composé Louis Vuitton en exposition. Le photographe prit des clichés de Jade en train de couper le gâteau et de tendre un morceau à Kris, qui coupa un morceau avec sa fourchette sur l’assiette. Le photographe prit un instantané au moment où Kris plaçait le petit morceau dans sa bouche. Son expression changea tandis que le gâteau délicat se dissolvait dans sa bouche et qu’il savourait les parfums.
« Belle posture », pensa le photographe qui continua à mitrailler le footballeur ravi.
« Il est maintenant huit heures », dit Cake d’une voix anxieuse, regardant à nouveau la pendule murale.
Jade sourit et ordonna l’ouverture des portes.
Sarah ouvrit la porte de devant et le personnel se plaça derrière les comptoirs à leur poste prévu.
Cake et Jade se tenaient enlacés à côté de Kris Pinyoun, qui se resservit d’une tranche de gâteau tandis que quelques personnes entrèrent. Le photographe prit des photos des premiers clients, alors que Jade leur donnait une tranche de gâteau Louis Vuitton.
Kris se servit une autre tranche du gâteau qui diminuait à vue d’œil, puis dit « Je crois que nous allons vous laisser ».
Cake tendit à Kris son pourboire de 300 £.
« Ce gâteau était délicieux », dit Kris, léchant les miettes sur le napperon en papier vert. « Bonne chance pour votre boutique ». Il jeta un dernier regard au reste du gâteau Louis Vuitton, mais constatant le regard sévère de Jade, il réalisa qu’il allait s’incruster et s’en alla.
Quelques clients se présentèrent au compte-gouttes dans l’heure qui suivit.
« Je pensais que cela serait plus remuant », dit Cake désappointé.
« Cela va aller », dit Jade, en le rassurant, « Le premier jour est toujours aléatoire, donc ne t’inquiète pas ». Et puis, il n’est que neuf heures et demie.
« Je pense qu’il manque un ingrédient », dit Cake en reniflant les arômes.
« Tu penses toujours qu’il manque un ingrédient, la mystérieuse épice manquante. Je vais demander à Grand Dave de péter. D’habitude, ça remet tes sens d’aplomb », ricana Jade.
« Crois-tu que nous nous sommes trompés ? Cela nous a coûté plus d’argent que nous aurions pensé », dit Cake.
« Je suis sûre que nous avons bien fait », répliqua Jade, en l’embrassant sur la joue. « Maintenant, fonce dans ta pâtisserie et utilise toute ta magie sur un Alaska ».
Cake rentra dans le fournil et regarda à travers la cloison de verre pendant que les clients rentraient un à un dans la pâtisserie et que Jade et les filles servaient. Il savait que sa famille leur rendrait visite dans la journée et était sûr qu’elle serait fière de lui.
Les choses ne s’étaient pas passées comme prévu pour le couple. Du fait de dépenses imprévues, ils avaient dépassé de loin leur budget à cause de la réglementation sur la construction et d’entrepreneurs négligents, ce qui avait retardé l’ouverture de la boutique et fait un trou dans leurs économies.
La pâtisserie-boulangerie était superbe. Situé dans le centre de la zone commerciale de Monks Road, le bâtiment à deux étages comportait un grand espace ouvert au rez-de-chaussée, que Jade et Cake avaient converti en une installation somptueuse. La devanture de la boutique se distinguait parmi la rangée de boutiques voisines, avec son grand panneau vert et un logo à feuille d’or.
L’intérieur de la pâtisserie ressemblait à un restaurant londonien décadent de 1920 avec de petites imitations de réverbères et d’autres luminaires et fixations Art Deco, ainsi que des colonnes en marbre vert citron à chaque coin. La couleur dominante était le vert jade subtil, et tout était assorti, la vaisselle, la garniture, les sacs en papier et les napperons.
La section pâtisserie comportait de grands présentoirs en verre le long des murs et était séparée de la section boulangerie par une cloison en verre pour permettre aux clients de voir les boulangers au travail. Bien que servant principalement des produits à emporter, l’établissement offrait plusieurs tables rondes et chaises en fer forgé de Stamford pour permettre aux clients de s’asseoir et apprécier l’ambiance pendant qu’ils mangeaient. Ils employaient trois serveurs et deux boulangers. Les boulangers expérimentés, choisis parmi les nombreux candidats qui s’étaient présentés pour le travail, espéraient apprendre de ce Cake légendaire.
Dave Smith et Dave Jennings étaient les deux boulangers embauchés par Cake. Pour éviter la confusion, Cake appela Dave Smith « Grand Dave » car il était grand, tandis que Dave Jennings devint « Petit Dave » du fait de sa petite taille ; Sarah, Tracy et Jackie étaient les serveuses.
Le contenu des meubles de présentation avait été organisé de façon à disposer chaque produit symétriquement.
Une section des coffres à température régulée contenait les pains, les sandwichs et les petits pains, comme ceux au levain, au roquefort et aux amandes, les pains de bûcheron, les sandwichs gourmets, les petits pains sous-marins au parmesan et à l’origan avec des garnitures végétariennes. Une autre section exposait des pâtisseries, notamment des spécialités gourmandes à la pâte feuilletée et autres pâtes brisées. La dernière section du boîtier réfrigéré en verre contenait des gâteaux et desserts tels que la « crème de la crème », qui aurait fait rêver tout établissement de restauration fine dans le monde, d’autant plus une pâtisserie dans Lincoln. Cake et sa petite équipe créaient des spécialités délicieuses, telles que des truffes au chocolat blanc et amaretto, des fraises Arnaud et des macarons haute couture. La pièce de résistance pour l’ouverture était l’interprétation par Cake du gâteau composé Louis Vuitton.
Les têtes des Dave n’avaient pas arrêté de tourner depuis qu’ils avaient commencé à travailler avec Cake. Il était un véritable maître, bien qu’ils le trouvent un peu excentrique. Chaque fois qu’il achevait un mets, il le sentait plusieurs fois, fronçait les sourcils et annonçait qu’il manquait quelque chose. Ils ne pouvaient comprendre pourquoi, parce que chaque création de Cake était délicieuse et semblait spectaculaire.
Le fournil comportait de nouveaux équipements, des fours en acier inoxydable, des pétrisseuses, des diviseurs mécaniques et d’autres équipements spécialisés. Le tout étincelait avec des plaques d’acier inoxydable sur les murs, les éviers et des sections du sol, l’air conditionné et d’autres systèmes de régulation de la température dans les compartiments de stockage réservés à des produits spécifiques, et la boulangerie ultramoderne du 21ème siècle ressemblait à une pâtisserie française du 19è siècle.

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L′Épice Robert A. Webster

Robert A. Webster

Тип: электронная книга

Жанр: Триллеры

Язык: на французском языке

Издательство: TEKTIME S.R.L.S. UNIPERSONALE

Дата публикации: 16.04.2024

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О книге: Cette quête exaltante, imprévisible et pourtant parfois hilarante, vous emmène depuis le confort d’un restaurant londonien branché jusqu’aux jungles sauvages des Montagnes Cardamomes, où un boulanger anglais et un réfugié cambodgien sont à la recherche d’une famille disparue et essaient de trouver une plante mythique, source d’une épice incroyable et unique.

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