N'Allez Jamais Chez Le Dentiste Le Lundi
Ana Escudero
Belén Escudero
N’ALLEZ JAMAIS CHEZ
LE DENTISTE LE LUNDI
Ana Escudero
Belén Escudero
Première édition: julliet 2019
© Ana Escudero Canosa
© Belén Escudero Canosa
© Cécile Torrents
© N'allez jamais chez le dentiste le lundi
Registered in Safe Creative: 1804076483175 - Tous droits réservés.
Images de couverture: licence Creative Commons
Origine des images: Pixabay
Auteurs des images originales: Mysticsartdesign, martaposemuckel.
Épisode 1 — Le début
— Peter, n’oublie pas qu’aujourd’hui tu dois amener Alexis chez le dentiste. Peter, malgré un manque d’envie évident, hocha docilement la tête.
—Et n’oublie pas non plus de passer au supermarché acheter la nourriture pour Sultan, continua Vivian.
Peter lança un regard au concerné : le chien se prélassait, collé à la cheminée, complètement immobile. Seules ses oreilles remuèrent en entendant le mot « nourriture ».
— Et toi, Vivian, tu vas où ? demanda Peter, même s’il savait déjà pertinemment la réponse.
— Tu sais bien que j’ai des affaires à régler, des dettes à couvrir. D’ailleurs, quand vas-tu me rembourser tout l’argent que tu me dois encore ? Les années passent et les intérêts grimpent…
— Mais tout n’était pas déjà réglé ? demanda Peter.
— Pourquoi nous sommes nous mariés déjà ?
— Oui, ce n’était pas le pacte ?
— Honnêtement ? Je ne m’en souviens pas. Comprends-moi, le stress du mariage m’a forcé à dire des choses que je ne pensais pas…
Peter se souvient que ce jour-là, tout avait été très rapide, il avait cru qu’ils allaient le tuer. Vivian se leva de la chaise, s’approcha de Peter et l’embrassa avant d’aller embrasser son fils, qui jouait avec Sultan, lui tirant gentiment les oreilles.
— A plus tard, dit-elle en partant, et ne rentre pas tard, Peter. Je ne pourrai pas changer l’heure du rendez-vous encore une fois.
Peter regarda sa femme partir sans regret, elle était d’un tempérament tyrannique et cela commençait à lui coûter de vivre avec tant de règles. Cela allait contre sa nature.
— Alexis, va t’habiller et n’oublie pas de prendre un sweat. Maman te grondera si tu abîmes ton déguisement. Après le dentiste, on ira où tu veux.
— D’accord papa. Où je veux… pour de vrai ?
— Oui, n’importe où.
Pour Peter, une visite chez le dentiste méritait bien une récompense. Vingt minutes après, les deux sortaient, suivis de près par Sultan. Le cabinet du dentiste n’était pas à côté ; il fallait marcher plus d’une demi-heure si bien que Peter décida :
— On va prendre le bus, ça te va Alexis ?
— Oui, mais… et Sultan ?
— Sultan vient avec nous, ne t’inquiète pas.
Alexis resta pensif, il y avait quelque chose qui clochait, mais il décida de suivre son père. Les trois marchèrent jusqu’à l’arrêt de bus. Peter et Alexis devant, et Sultan, à l’arrière, paraissant plus se laisser tirer que marcher par lui-même. Quand ils arrivèrent, Peter remarqua qu’il y avait déjà quelques personnes qui attendaient le bus.— Je n’aime pas rester debout, dit-il, viens Alexis, on va se mettre parmi les premiers.
Au loin, une voiture doubla alors adroitement le bus qui arrivait. Le feu rouge arrêta le bus un instant et donna le temps au véhicule d’arriver jusqu’à Peter. La voiture s’arrêta et le conducteur klaxonna plusieurs fois. Tout le monde l’observait. Sultan aboya joyeusement et Alexis applaudit tandis que Peter regardait, effrayé, le conducteur.— Salut, vous montez ? proposa le Créancier.— Pas la peine, on peut parfaitement prendre le bus, répondit Peter brusquement.
Le bus avança à nouveau et plusieurs personnes lui firent signe de s’arrêter. Peter prit par la main son fils et appela Sultan, tout en se dirigeant vers le bus dans l’intention d’y monter. Mais Sultan ne bougeait pas, il s’était confortablement couché sur le siège arrière de la voiture.
— Papa, regarde Sultan! Il est monté dans la voiture du Créancier! commenta Alexis, pointant du doigt l’évidence.
Peter se retourna pour le voir par lui-même. Pendant ce temps, le bus s’était arrêté et les gens commençaient déjà à y entrer, certains se bousculant même, ayant dans l’idée de monter les premiers pour avoir un siège libre.
Le Créancier attendait, se roulant une cigarette, appuyé sur le capot, que Peter se décide.
— Si tu réfléchis trop, vous allez arriver en retard à votre rendez-vous, dit-il.
— Bon je monte, mais c’est moi qui conduis.
Le Créancier rit, comme lui seul savait le faire, d’un rire mystérieux et sombre qui fit frémir Peter jusqu’au plus profond de son être.
— Je suis sur le point d’avoir mon permis de conduire, protesta-t-il sans mentionner que c’était son vingtième essai.
Le Créancier rit à nouveau - si le son qui sortait de sa gorge pouvait être appelé rire.
— Allez, monte. Regarde, ton fils est déjà à côté de Sultan.
— Papa, monte, ou maman va nous gronder, renchérit Alexis
Il monta donc à la suite du Créancier qui mit le moteur en route.
— Je vous dépose où ? demanda-t-il.
— 150 rue del Arribista.
— Et qu’est-ce que vous allez faire là-bas ?
— Tu le sais déjà… on va chez le dentiste.
— Moi ? Comment veux-tu que je le sache, petit frère ?
— Je crois que tu te fais vieux. L’ Alzheimer te joue des tours.
— Très drôle petit frère! C’est que tu aimerais bien que je perde la mémoire.
— Je m’inquiète pour toi… ça fait un paquet d’années qu’on se connaît. Quel âge as-tu déjà ?
— Je dirais quarante deux.
— C’est tout ? Tu sembles plus vieux. Le travail que tu fais te vieillit, commenta Peter. Regarde-moi, je viens tout juste d’avoir trente ans et regarde le teint que j’ai, conclut-il.
— Mais oui, tu es encore un enfant, frérot. Enfin, ce serait mieux qu’on se mette en route ou ta femme nous engueulera tous les deux.
Il tourna alors le volant pour s’introduire dans la circulation.
A mesure qu’il se rapprochait de leur destination, Peter devenait de plus en plus nerveux. Pendant ce temps, Alexis observait les voitures à travers la vitre.
— Tonton, j’ai une question. Comment tu t’appelles pour de vrai ? Créancier ? Tonton ? Mon papa t’appelle toujours en disant « celui-là » ou d’autres mots que maman ne veut pas que je répète à voix haute.
— Ahahaha, se mit à rire le Créancier, tu peux m’appeler Créancier, comme tout le monde.
— D’accord oncle Créancier.
— Pourquoi vas-tu voir le dentiste, Alexis ?
— Ma maman dit que c’est parce que je mange trop de bonbons. Elle dit aussi que c’est la faute à papa.
— Quel âge as-tu ?
Alexis leva ses mains et tendit en l’air six doigts.
— Six ans! s’exclama le Créditeur. Alors tu as encore des dents de lait. Ecoute ta mère, Alexis.
— Je comprends pas, tonton. Pourquoi tu dis ça ? Moi, j’écoute toujours maman. C’est elle la chef à la maison.
— C’est bien. Il est chouette ton déguisement, commenta-t-il bien qu’il ne pouvait le voir que partiellement, l’enfant avait la fermeture éclair de son sweat ouverte car la chaleur était étouffante dans la voiture.
— Merci! Je suis Éridan, dit-il sans vraiment savoir ce que c’était, mais fier de s’en souvenir.
Peter n’écoutait pas, à mille lieues d’ici : quel bonheur se serait d’être sur une plage en Californie!
— C’est ce bâtiment ? lui demanda le Créancier, sans obtenir de réponse. Peter, Peter!
— Eh ? Quoi ?
— Où tu étais ? Je te demande si c’est ici, répéta-t-il en montrant l’immeuble qui affichait « Cabinet dentaire ».
— Et bien, je ne sais pas. Je n’ai pas fait attention à la route que l’on a prise.
— Je ne sais même pas pourquoi je te le demande, marmonna le Créancier.
Il se rapprocha pour voir le numéro. Après avoir vérifié que c’était la bonne adresse, ils descendirent de la voiture.
— Tu peux y aller maintenant. Ciao, Créancier.
— A très vite, petit frère.
Quelques minutes plus tard, sa voiture tournait au coin de la rue. Sultan vit s’éloigner la voiture en gémissant avant de se coucher à l’entrée du bâtiment. Père et fils se dirigèrent alors vers la clinique. Le père en traînant les pieds, le fils joyeusement, en sautillant.
Épisode 2 — Le dentiste
En les voyant entrer, l’infirmière blêmit et prit rapidement le téléphone.
— Docteur, on a besoin de vous ici. Vous n’allez pas le croire.
— Qu’est-ce qu’il y a Xenia ?
— Le patient de 9 heures est arrivé avec son père.
Le docteur regarda dans son agenda qui était le patient de 9 heures et prit peur à son tour, mais feignit néanmoins la tranquillité :
— Tu peux les faire entrer, Xenia.
— Tous les deux ?
— Oui, Xenia. - puis il ajouta, surtout pour lui-même - Si Dieu le veut!
— Bonjour, dit l’infirmière en s’adressant aux arrivants. Le docteur me dit que vous pouvez entrer.
Peter jeta un coup d’oeil en direction de la porte, la terreur peinte sur son visage.
— Allez papa, l’encouragea Alexis en le tirant.
Etait-il si lâche ? Pouvait-il se montrer ainsi devant son fils ?
Le docteur vint à leur rencontre, et serrant la main d’Alexis, lui dit :
— Allez petit, ça va être rapide. — Puis, se dirigeant à Peter —. Je vous en prie, entrez. Peter hésita, se sentant déjà un peu malade. Le docteur vit comment Peter blêmissait, et eut peur qu’il ne s’évanouisse, ou pire, qu’il ne se mette à vomir à ses pieds.
— Xenia, montre à ce monsieur où sont les toilettes.
Mais Peter restait immobile, respirant comme si l’air lui manquait, hoquetant la bouche ouverte comme un poisson hors de l’eau.
— Je vais bien, dit Peter, même s’il était évident que ce n’était pas vrai.
— Asseyez-vous un moment, dit le docteur en lui ramenant une chaise, maintenant respirez doucement. Inspirez, expirez,…
Peter inspira et expira suivant les indications du dentiste, sous le regard stupéfait d’Alexis, qui, après quelques secondes de réflexion, s’assit à côté de son père pour l’imiter.
— Xenia, accompagne le petit à l’intérieur et prépare tout, lui dit le docteur, avant de s’adresser à nouveau à Peter : c’est ça, très bien, inspirez et expirez.
— Combien de temps encore, docteur ? demanda Peter entre deux inspirations.
— Jusqu’à ce que je vous le dise. Dès que ça va mieux, vous pouvez vous relever et entrer. Le prochain patient ne va pas tarder à arriver.
La porte du cabinet s’ouvrit alors, laissant place à une dame d’âge moyen, qui, regardant là où se trouvait le docteur et Peter, resta interdite.
— Bonjour madame. L’infirmière va sortir pour prendre votre nom, dit alors le dentiste.
La dame, qui avait une joue plus enflée que l’autre, hocha la tête et alla patienter dans la salle d’attente. Elle vit peu de temps après disparaître derrière la porte du cabinet le docteur et son patient.
Alexis était confortablement assis sur le fauteuil d’examen et l’infirmière venait de préparer le matériel nécessaire.
— C’est bien Alexis, on va jeter un coup à tes dents. As-tu mal quelque part ? lui demanda le dentiste.
— Non.
— Tant mieux. Maintenant ouvre grand la bouche pour que je vérifie que tout va bien à l’intérieur.
Alexis obéit et le dentiste se mit à examiner ses dents, passant de la mâchoire inférieure à la mâchoire supérieure.
— Je vois quelque chose, dit-il entre ses dents. Es-tu sûr que ça ne te fait pas mal ici ? demanda-t-il en appuyant sur une des dents inférieures.
— Parfois… mais à papa aussi ça lui fait mal. Il se plaint tout le temps.
— Quoi ?! Moi ?! Je ne me plains jamais! … se plaignit Peter à grands cris.
— Papa, c’est pas bien de mentir.
— Quoi ? Alors je suis aussi un menteur ?! C’est ce que tu penses de moi ?
— Mais non papa… mais pourquoi tu ne dis pas au monsieur dentiste que ta molaire te fait très mal tous les jours ?
— Ce n’est rien, juste une petite gêne, ça passera.
— Papa, toi qui as échappé à un ogre, qui as vécu avec sept géants et qui connais une sorcière, tu ne peux pas avoir peur du dentiste, pas vrai ?
— Et encore je ne t’ai pas tout raconté… blagua Peter, avant de se taire, ayant tout à coup une idée pour faire taire son fils : Alexis, arrête de parler, le docteur ne peut pas travailler.
Le docteur, qui n’avait pas perdu un détail de la conversation, rétorqua en jetant un coup d’oeil à Peter :
— Je vais en terminer avec toi Alexis, puis j’examinerai ton père.
— Terminer mon fils… mais que vas-tu lui faire ? Assassin! se mit à hurler Peter, les mains sur les hanches.
— Faites-moi le plaisir de ne pas crier, lui ordonna le dentiste. Vous êtes dans une clinique prestigieuse. Bientôt les dents de lait d’Alexis vont commencer à tomber et les définitives commenceront à pousser… Maintenant venez et asseyez-vous ici, ajouta-t-il fermement.
Peter obéit et s’assit sur le fauteuil, le dos droit, tendu.
— Ouvrez la bouche.
Peter ouvrit lentement la bouche, dévoilant à peine le bout de ses dents.— Non papa, pas comme ça, comme ça, lui dit Alexis en ouvrant en grand sa bouche.
Peter, imitant son fils, ouvrit un peu plus la bouche, laissant enfin voir ses gencives et une partie de sa langue. Le docteur Bistouri avança l’appareil pour pouvoir bien observer l’intérieur de sa bouche. Il examina ses dents unes à unes, utilisant le souffleur à chaque fois qu’il voyait quelque chose de suspect. La dent cariée apparut alors sous ses yeux et il ne put s’empêcher d’être surpris en pensant à la douleur que Peter devait supporter. Il était d’autant plus surpris qu’il connaissait bien Peter, et pas uniquement comme patient, il l’avait déjà côtoyé lors de différentes rencontres sociales.
— Il y a du travail… se dit-il tout en regardant l’horloge accroché au mur qui affichait 9h40. Je vais endormir la zone pour que vous ne sentiez pas la douleur.
— Pas la peine, dit Peter, faisant mine de se lever. Nous devons y aller.
— Je vous conseille de ne pas partir. On peut encore sauver votre dent, mais si elle reste dans cet état encore un peu plus longtemps, je devrais l’arracher, commenta le docteur.
Quelques secondes suffirent pour que Peter s’imagine torturé par un dentiste sadique lui arrachant la molaire. Mais ce fut la présence de son fils qui le fit finalement se rasseoir dans le fauteuil d’examen.
— Faites ce que vous avez à faire, dit-il avec tout le courage dont il était encore capable.
Le docteur avait pour cela besoin d’assistance, et il appela donc Xenia, qui prépara le nécessaire pour l’intervention. L’injection qu’on avait faite à Peter quelques minutes avant lui maintenait le côté gauche endormi. Le docteur alluma alors la chignole en déclarant :
— Si je vous fais mal, levez la main et j’arrêterai aussitôt.
Mais c’est alors qu’un bruit inattendu, comme une sorte d’explosion, les effraya un instant, et le docteur interrompit son travail.
— Xenia, emmenez le garçon dans une autre pièce et donnez-lui quelque chose pour dessiner.
L’infirmière s’approcha du docteur et lui murmura à l’oreille :
— Nous devons y allez. C’est le signal.
— Vous avez raison, répondit-il en se redressant.
Il enleva sa blouse et l’infirmière ouvrit une porte attenante au bureau. Tous deux s’y engouffrèrent sans que Peter ne bouge du fauteuil, la bouche toujours grande ouverte. Quelques secondes passèrent, presque une minute sans que le docteur ou l’infirmière ne reviennent aux côtés de leur patient, qui maintenait encore sa bouche ouverte aussi grande que possible.
— Papa, où est allé le docteur ? demanda Alexis.
Pour toute réponse, Peter émit des sons étranges qu’Alexis essaya de décrypter.
— Bon, papa, je vais le chercher! dit-il en sautant de la chaise, courant aussitôt vers la porte. Peter le laissa partir et ferma enfin la bouche, prenant conscience avec quelques minutes de retard que le dentiste n’était plus là pour l’obliger à la maintenir ouverte, et donc qu’il pouvait la fermer sans problème. « C’est déjà terminé ? » pensa-t-il. « C’était rapide. Je devrais me rincer la bouche ». Il se redressa et prit un verre en plastique rempli d’eau et s’apprêtait à boire quand sa langue toucha le trou que le dentiste avait commencé à faire dans sa molaire.
— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? se demanda Peter qui voulait savoir ce qui avait bien pu arriver à sa dent même si la réponse l’effrayait déjà.
Alexis ne répondit pas à l’exclamation de son père. Le silence avait envahi la clinique - un silence seulement interrompu par le bruit des pages du magazine people que feuilletait la patiente suivante dans la salle d’attente, et par l’horloge qui sonna dix heures. Peter sortit de la pièce et s’approcha de la dame.
— Excusez-moi, avez-vous vu passer un enfant ?
— Et bien, je n’ai pas fait attention. Vous l’avez perdu ?
— Non. Et le dentiste ? Vous l’avez vu ?
— Il n’est pas passé. Qu’est-ce qu’il se passe ? J’avais rendez-vous à 9h30 et l’horaire est déjà nettement passé.
Peter ne répondit pas, mais commença à ouvrir des portes tout en appelant son fils.
— Alexis! Alexis! Mais dans quoi t’es-tu fourré encore ? Je vais me fâcher si tu ne viens pas tout de suite.
Épisode 3 — Enquête dans
le cabinet dentaire
Peter, ne trouvant pas son fils, se rappela alors de Sultan et partit le chercher. Ce dernier attendait toujours patiemment, couché devant la porte du cabinet.
— Sultan, viens ici. Tu as du travail. Va chercher Alexis. Sultan se leva, bailla et s’étira avant de s’approcher de Peter.
— Ouaf ? demanda-t-il, interrogatif.
— Cherche, Sultan! Cherche! lui ordonna Peter.
« Comment avait-il pu pour perdre son fils ? Qu’avait fait cet idiot pour le perdre ? » se demanda Sultan.
Peter laissa entrer Sultan dans le cabinet médical malgré la mine accusatrice de la patiente suivante. Le chien alla jusqu’à la pièce où le père et le fils avaient été peu de temps auparavant et aboya fort : il n’aimait pas ce lieu qui lui rappelait ses visites chez le vétérinaire.
— Sultan, arrête de faire le fainéant et cherche Alexis.
Sultan se dirigea alors vers la porte par laquelle le docteur et son infirmière avaient disparu puis vers une seconde porte qui était fermée. Il leva sa patte pour tourner la poignée. La porte s’ouvrit, permettant à Sultan et à Peter d’entrer dans une autre pièce, également vide. Mais où pouvaient-ils être ?
Peter ouvrit l’unique porte qu’il y avait et se retrouva face à face avec son frère. L’expression de préoccupation de Peter l’alerta, connaissant suffisamment son frère pour savoir qu’il se passait quelque chose.
— Qu’est-ce que tu fais encore là ? Cela fait un moment que j’ai vu le docteur partir.
— Qu’est-ce que tu as fait d’Alexis ? C’est sûr que c’est toi!
— Alexis ? demanda-t-il, pensif. Non, lui, je ne l’ai pas vu.
— Ne mens pas! Bien sûr que tu l’as vu et que tu l’as kidnappé.
— Tu l’as perdu ? Il doit être par là. Tu es allé voir aux toilettes ?
— Non.
— Et bien nous allons voir alors. Viens, on y va ensemble.
Peter suivit son frère jusqu’à la porte des toilettes avec une expression suspicieuse sur le visage. Le Créditeur ouvrit et invita Peter à entrer en premier. La lumière était éteinte. Peter appuya sur l’interrupteur et l’ampoule collée au plafond éclaira la petite pièce.
Sultan aboya plusieurs fois, son odorat l’avait mené jusqu’à la porte de secours.
— Allez, Peter! Ce n’est pas le moment de pisser, dit le Créditeur en voyant Peter déboutonner les boutons de son pantalon.
— Laisse)moi faire pipi. Il faut profiter du moment opportun.
— Tu es un enfant…
Une fois soulagé, Peter boutonna les boutons et se lava les mains.— Tu ne veux pas pisser ? Tu devrais en profiter toi aussi.
Entretemps, Sultan aboyait sans s’arrêter. « Qu’attendaient ces idiots d’humains ? »
Peter sortit des toilettes et s’exclama :
— Allons-y! Sultan est en train d’aboyer.
Sultan vit apparaitre les deux humains… « il était temps! ». Le Créditeur ouvrit la porte qui donnait sur quelques marches, et au bout, il y avait une autre porte qui donnait sur la rue. Sultan se dirigea sans douter vers cette seconde porte et attendit que quelqu’un lui ouvre, se collant à côté et émettant un bref aboiement.
— Il ne peut pas être sorti dans la rue! s’exclama Peter, anxieux. Il sait qu’il n’a pas le droit de sortir tout seul.
— La question est de savoir s’il a choisi de sortir par lui-même ou si on l’y a obligé.
— Obligé ? Qui l’aurait obligé ? Toi, toi, je savais que c’était toi.
— Comment est-ce que cela pourrait être moi si je suis avec toi en ce moment, en train de t’aider ? Ne sois pas bête, petit frère.
— Tu as envoyé quelqu’un. Tu as des subalternes même en enfer.
— C’est sûr que j’aurais pu le faire comme ça. Très bien pensé, Peter.
— Ouaf, ouaf, ouaf! aboya Sultan furieusement. « Pourquoi les humains aimaient-ils perdre du temps ? »
Le Créditeur ouvrit la porte et sortit à l’extérieur, suivi de Peter et de Sultan.
La voiture du Créditeur était stationnée très proche, si bien que les trois partirent en courant jusqu’à elle. Quelques secondes plus tard, le Créditeur allumait le moteur.
— Alexis est sorti après le dentiste, se souvint Peter, qui m’a abandonné sur le fauteuil médical. Et Vivian qui disait qu’il était le meilleur de la ville.
— Explique-moi Peter, qu’est-ce qu’il s’est passé ? Où est allé le dentiste ?
— Je ne sais pas. Il y a eu une explosion. Tu ne l’as pas entendu ? Puis, d’un coup, j’étais seul.
— Tu expliques mal. Pense que ce que tu me dis peut nous aider à trouver Alexis. Explique-moi tout ce qui s’est passé à la clinique.
— Nous sommes entrés. Alexis était très content. L’infirmière était au comptoir, elle a pris le téléphone.
— Ce n’est pas non plus nécessaire… commença à dire le Créditeur, mais ajoutant après : mais continue. Quoi de plus ?
— L’infirmière nous a dit que l’on pouvait entrer, mais je ne pouvais pas bouger, je me souviens qu’Alexis me tirait, parce que je ne voulais pas entrer.
— Ton fils doit être un saint pour te supporter. Qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite après que tu as arrêté de faire l’imbécile ?
— J’ai inspiré et expiré… inspiré et expiré… répéta Peter comme il l’avait fait dans le cabinet.
— Si tu continues à expliquer à ce rythme là, on va y passer la nuit. Accélère!
— Après avoir examiné Alexis, il m’a obligé à m’asseoir puis s’est obstiné à me dire que j’avais une carie sur la molaire et qu’il devait la plomber.
— Et c’était vrai ?
— Non, mais il m’a menacé qu’un dentiste sadique me l’enlève. Au bout d’un moment, l’explosion a retenti.
— L’explosion… quelle explosion ?
— Ne me dis pas que tu ne l’as pas entendu! C’était très fort, mais cela semblait venir d’assez loin. Boum!
— J’ai entendu quelque chose mais cela paraissait plus à des feux d’artifice qu’à une explosion. Quoique maintenant que je m’en souviens, peut-être que tu as raison.
— Bon, puis après le docteur a demandé à l’infirmière d’emmener Alexis dans une pièce et peu de temps après, j’ai entendu une chaise bouger, comme si quelqu’un se levait, et j’ai entendu une porte s’ouvrir, des bruit de pas, se rappela Peter, et ensuite, le silence.
— Mais Alexis est allé dans une autre pièce ou non ? Parce qu’il me semblait que tu avais dit qu’il était allé chercher le docteur.
— C’était après. Alexis est sorti chercher le docteur, et moi… - la sonnerie de son téléphone l’interrompit — C’est Vivian! Qu’est-ce que je lui dis ?
— La vérité. C’est ta femme et la mère d’Alexis.
— Je ne peux pas lui dire la vérité. Elle va se fâcher.
— Avec raison, tu ne crois pas ?
— Moi je ne peux pas lui dire, ce serait mieux si c’était toi. Au moins, elle se fâchera contre toi.
— Je ne vais pas porter cette croix, rétorqua le Créditeur, avant de finalement prendre le téléphone, décrocher, et dire : Vivian, salut. Je te passe ton mari.
— Salut Vivian. Qu’est-ce qui t’amène ? demanda Peter.
— Peter, tu as oublié la carte vitale d’Alexis.
— Et? Quoi ? répondit Peter qui ne s’attendait pas à ça.
— La réceptionniste ne te l’a pas demandé ?
— Non. Nous sommes passés directement en consultation.
— Elle va te la demander en sortant alors. Et Alexis ?
— Il va bien. Tu sais quoi ? Je vais envoyer le Créditeur chercher la carte. Il nous a accompagnés jusque-là, ajouta-t-il devant la mine réprobatrice de celui-ci.
— Bonne idée. Frans lui ouvrira la porte.
— Tu veux me dire quelque chose d’autre ? Non ? et il raccrocha sans donner le temps à Vivian de réagir.
— On a gagné un peu de temps. Pendant que toi tu vas chercher la carte, Sultan et moi on va chercher Alexis.
— Et tu sais déjà où le chercher ? Tu as un plan ?
— Non. Mais, au mieux, quelqu’un l’a vu. J’ai une photo sur mon portable, dit-il en lui montrant.
— Seulement une ? Mais quel père! Moi aussi j’ai des photos d’Alexis sur mon portable comme le bon oncle que je suis.
— Mes parents ont eu un seul enfant, c’est-à-dire, moi. Après autant d’années, je croyais que c’était clair.
— C’est vrai ? Tu es sûr ? Ta mère m’a toujours très bien traité.
— Ma mère traitait bien tout le monde. Elle était mère d’accueil, tu le savais ?
— Tu crois que c’est le bon moment pour aborder ce sujet ? tu n’as pas quelque chose de plus important entre les mains ?
— C’est vrai! Cours, va à la maison. Sultan et moi t’attendons ici.
Le Créditeur réfléchit un millième de seconde : il valait mieux que Peter lui fasse confiance et qu’il continue à jouer le jeu, pour ainsi dire.
Il gara la voiture en double file et dit à Peter :
— Descend. Je reviens ensuite.
Peter sauta hors de la voiture, suivi par un Sultan récalcitrant. La voiture disparut à l’angle de la rue.
— Et maintenant, on fait quoi Sultan ?
— Ouaf! répondit celui-ci. Il avait perdu la trace d’Alexis quatre rues avant.
— Ouaf ? je ne comprends pas ce ouaf. Je ne parle pas la langue des canidés. Qu’est-ce que tu veux dire Sultan ?
— Ouaf! aboya de nouveau Sultan avant de s’allonger dans la rue de tout son long.
— Sultan! Ce n’est pas le moment ni le lieu adéquat pour faire une sieste.
Le chien ferma les yeux, ne pensant pas bouger jusqu’à ce que revienne le Créditeur : il n’avait pas l’intention de tourner en rond, sans direction fixe.
— Debout, Sultan! Je sais que les années pèsent, mais Alexis a besoin de nous, l’encouragea Peter.
— Ouaf! répondit Sultan avec plus d’énergie cette fois, se relevant enfin en entendant le prénom d’Alexis.
Épisode 4 — Sept billes
Alexis regarda autour de lui, avant tout intrigué. Il ne reconnaissait pas le lieu où il se trouvait ni ne se souvenait de comment il était arrivé jusqu’ici. La dernière chose dont il se souvenait était qu’il se trouvait dans le cabinet dentaire, avec son père, et qu’il était sorti pour chercher le dentiste. Mais le passage était parsemé de billes et il s’était baissé pour en ramasser quelques unes et les mettre dans la poche de son pantalon. Il en était sûr parce que, il y a un instant, il avait mis les mains dans ses poches pour y tirer une des billes colorées.
Il entendit alors un bruit hors de la pièce. Du haut de ses six ans, il ne reconnaissait pas beaucoup de bruits, si bien qu’il ne put d’abord pas l’identifier. Il se leva et courut jusqu’à la porte, tournant la poignée pour l’ouvrir. Mais la porte restait close.
— Papa, ouvre-moi! Papa, je ne peux pas sortir! Papa!! cria-t-il si fort qu’il lui semblait qu’on pouvait l’entendre à des kilomètres à la ronde.
Ni son père ni personne d’autre ne répondit à son appel.
Il regarda autour de lui, cherchant instinctivement une fenêtre. A un mètre et demi du sol, il découvrit une petite fenêtre très sale. Il s’approcha et s’étira le plus possible mais n’arriva pas à atteindre le bord. Alexis n’était pas très grand, il se rappela sa mère lui dire : « Alexis, mange tous tes légumes. C’est pour que tu grandisses et que tu deviennes un homme grand et beau ». Il courut alors vers l’unique chaise présente dans la pièce et la tira jusqu’à la fenêtre. Il se tourna un instant vers la porte et tendit l’oreille pour voir s’il n’y avait pas de bruit à l’extérieur.
Rien. Il monta sur la chaise, se mit sur les genoux, et regarda à travers les carreaux sales. Il passa le bout de ses doigts sur la vitre, essayant de la laver pour pouvoir mieux voir à l’extérieur. Cela ne servit pas à grand chose : cela devait faire des siècles qu’elle n’avait pas été nettoyée. Il cracha sur la vitre, tira sur la manche de son sweat pour qu’elle recouvre sa main, cachant ainsi complètement son déguisement de constellation, et frotta la vitre avec. Sa manche de gris clair passa vite à gris sombre. Il essaya ensuite d’ouvrir la fenêtre, en vain. Il observa les charnières, qui étaient toutes rouillées : Alexis les observa sans bien savoir ce que c’était, mais il comprit que c’était à cause d’elles qu’il ne pouvait ouvrir la fenêtre. Il sauta de la chaise et resta pensif quelques secondes. Que devait-il faire maintenant ?
La porte s’ouvrit alors et devant les yeux ébahis d’Alexis apparut Mickey Mouse, tenant dans la main la photo d’un enfant de l’âge d’Alexis mais avec des cheveux d’un ton un peu moins roux. Mickey l’observait comparant la photo avec l’enfant qui se tenait face à lui.
— Mickey! Mickey! s’exclama Alexis en se mettant à sautiller.
Mickey vit que la chaise était à présent sous la fenêtre. Il s’approcha d’Alexis et lui offrit un bonbon saveur orange. Alexis ne prêta pas attention au bonbon à l’orange et essaya plutôt de passer derrière Mickey, mais celui-ci l’en empêcha.
— Mickey, que faisons-nous ici ? demanda-t-il.
Celui-ci mit un doigt sur ses lèvres pour lui intimer le silence. Alexis l’imita et attendit ce qu’allait faire son ami Mickey. Ce dernier lui tendit à nouveau la main.
— Merci Mickey, mais je n’aime pas les bonbons à l’orange. J’aime pas l’orange.
Mickey garda le bonbon et sortit alors un autre au citron. Alexis le regarda avec des yeux gourmands, mais une voix féminine résonna dans sa tête : la voix de sa mère.
— N’accepte jamais ce que t’offre un inconnu. Mieux encore, prends seulement ce que moi je te donne.
— Non merci dit finalement Alexis, se souvenant également que sa mère lui disait de toujours être poli.
Mickey prit alors la main d’Alexis et le tira vers lui.
— Qu’est-ce que tu fais ? Tu vas me ramener à mon père?
Mickey hocha la tête et montra la porte qui était restée ouverte.
— T’es pas très bavard. Tu serais pas Silencieux déguisé en Mickey?
Il esquissa un geste qui voulait dire « peut-être » puis le tira à nouveau vers la porte.
— Je ne sais pas si je devrais te suivre. Je te connais pas. Toi, tu me connais ? Tu connais mes parents ?
Mickey soupira. Ce n’était pas un homme très imaginatif et il ne trouvait pas un bon motif pour faire sortir l’enfant de ce taudis. Il lâcha finalement la main de l’enfant et sortit en laissant Alexis seul dans la pièce, enfermé. Alexis courut aussitôt vers la porte et frappa plusieurs fois dessus en criant :
— Quoi! Monsieur Mouse, ne pars pas!
Une fois encore, personne ne répondit à l’appel d’Alexis, et il eut envie de pleurer pour la première fois depuis ce matin. Mais, à quoi bon pleurer si personne ne le voyait ? Il ne pleurait jamais s’il était seul. Il devait donc avoir un peu de public, et pour cela, il avait seulement besoin d’une idée. Il regarda autour de lui, cherchant l’inspiration. Cette inspiration tant souhaitée lui vint rapidement - bien que sans doute influencée par ses gènes paternels. L’idée n’était pas des plus intelligentes. Il prit une des billes et la lança contre la petite fenêtre : elle rebondit sur la vitre, provoquant un léger tintement, avant de retomber en faisant quelques bonds sur le sol. Mais le son n’était pas assez fort pour être entendu de l’extérieur. Il prit alors une autre bille et répéta son geste, cette fois-ci en y mettant toute sa force. L’effet fut proportionnel à la force utilisée : la petite bille rebondit à nouveau, mais cette fois, elle se rompit en touchant le sol (sans doute à cause d’une microscopique brèche présente sur la bille).
Alexis resta paralysé un moment, honteux d’avoir cassé quelque chose qui en réalité ne lui appartenait pas. Mais ce sentiment disparut rapidement quand il mit la main dans la poche de son pantalon et qu’il sentit toutes les billes qu’il lui restait encore.
« Sept billes c’est beaucoup plus qu’une seule bille » pensa-t-il. « Sept billes font plus de bruit qu’une seule ».
Il les soupesa, les faisant sauter dans sa main comme pour apprécier le poids et la force qu’elles pourraient exercer en frappant la vitre de la fenêtre. Il les lança : les billes s’élevèrent un bref instant à la même hauteur, mais très vite, elles se séparèrent, certaines allant plus haut que d’autres dans ce voyage aérien. Ce voyage se termina en quelques secondes lorsqu’elles frappèrent le corps solide de la vitre, ce qui provoqua alors un effet de rétrocession. Certaines s’entrechoquèrent, dans les airs ou au sol, et celles qui ne trouvèrent pas le sol dur dans leur chute, trouvèrent à la place le tendre corps d’Alexis. Celui-ci se mit à crier, cette fois-ci de douleur en sentant le choc des billes sur sa tête, ses bras et sa poitrine.
— Aïe! Aïe!
Mais Alexis avait une idée en tête, si bien qu’il ramassa les billes tombées au sol pour les lancer à nouveau, sans se rendre compte que parmi ces billes colorées, il avait ramassé un diamant.
A ce moment précis, la porte qui le maintenait enfermée s’ouvrit. Mais au lieu de laisser place à Mickey Mouse, il vit entre ses larmes un personnage qui le fit frissonner, un personnage beaucoup moins charmant que le bon Mickey, et qui avait les bras croisés, signe de sa colère.
— On peut savoir ce que signifie tout ce vacarme ? demanda-t-il d’un ton qui n’admettait aucune contrariété.
Alexis ravala ses larmes, effrayé par le personnage qui se tenait devant lui. Il cacha ses mains dans ses poches, et par ce geste, il y mit les billes comme le diamant. Batman continuait à le regarder, attendant une réponse.
— Je suis désolée Batman. Ne m’enferme pas dans ta Batcave, dit Alexis à voix basse.
— Nous devons y aller. Ou tu me suis gentiment ou je dis à mon ami de te transporter dans son sac.
Alexis pensa à demander où ils allaient, mais il se dit que peut-être la question ne plairait pas à Batman. Il resta donc silencieux tandis qu’il sortait de la pièce sur les pas de Batman. Ils montèrent dans une voiture en compagnie de Mickey Mouse. Ce dernier restait silencieux tandis qu’il aidait Alexis à s’asseoir correctement.
— Merci. Nous allons très loin ?
— Plus loin que tu n’es jamais allé, répondit Batman.
— Je vomis toujours quand je fais un long voyage, avoua-t-il.
— Ne pense même pas à vomir dans ma voiture, répliqua Batman d’une voix sombre.
— D’accord… répondit Alexis dans un filet de voix, même s’il savait qu’il n’y arriverait sans doute pas.
Alexis prêta attention pour la première fois aux vitres de la voiture. Celles-ci ne laissaient pas voir l’extérieur, pas car elles étaient teintées, mais à cause de la saleté qui recouvrait l’extérieur.
— C’est vraiment ta voiture ? demanda-t-il.
Ni Batman ni Mickey Mouse ne répondirent.
Vingt minutes plus tard, Alexis s’exclama :
— J’ai pipi!
Il attendit quelques secondes et répéta sa demande d’une voix plus forte:
— Il faut que je fasse pipi! j’ai pipi! j’ai pipi!
L’enfant ne paraissait pas se fatiguer de le répéter encore et encore. Batman commença à devenir rouge de colère et sa respiration devenait de plus en plus agitée à chaque cri que poussait Alexis, tandis que son collègue tentait en vain de le tranquilliser. Finalement, Batman freina si brusquement qu’Alexis tomba sur le sol de la voiture.
Mickey Mouse regarda rapidement derrière lui pour vérifier que l’enfant allait bien malgré sa chute, tandis que Batman marmonnait un « putain de gosse ». Alexis allait bien : il avait vu quelque chose qui retenait toute son attention, pas parce que c’était quelque chose qu’il n’avait jamais vu mais car il avait déjà vu cet objet dans le passé et avait même joué avec. Il tendit sa main pour le récupérer, mais ne parvint pas à l’atteindre. Il se tordit sur le sol de la voiture pour modifier la position de son corps, afin de pouvoir mieux étendre ses bras, et ainsi poser les doigts sur le précieux objet. Il arriva enfin à l’attraper et se rassit.
— Mets la ceinture au gamin, ordonna Batman à Mickey Mouse. Une fois fait, Batman reprit sa conduite.
Alexis ouvrit discrètement sa main et regarda ce qu’il avait attrapé. Il ne comprenait pas comment et pourquoi ce jouet se trouvait dans la voiture.
Épisode 5 — Les aventures de Vivan commencent dans ce roman
Le Créditeur arrêta sa voiture devant le bureau de Vivian et tambourina sur le tableau de bord. Il regarda un instant l’immeuble et vit alors descendre Vivian de l’édifice. Cette dernière observa le ciel pour ensuite chercher ses lunettes de soleil dans son sac. Le Créditeur continua à l’observer, se demandant s’il devait lui parler de la disparition d’Alexis ou se charger lui-même de résoudre le problème. Pendant ce temps, Vivian regardait autour d’elle. La voiture du Créditeur était dans sa ligne de vision mais elle ne parut pas le voir tant elle était distraite. Elle s’arrangea les cheveux avant de marcher vers une rue plus basse. Le Créditeur descendit de la voiture, suivant Vivian. Elle marchait rapidement et de temps en temps regardait sa montre comme si elle craignait d’arriver en retard. Le Créditeur, expert en filature, la suivait de près et la vit ainsi entrer dans un centre commercial.
« Elle ne compte quand même pas faire ses courses ? » se demanda le Créditeur. C’était lundi après tout, il y avait donc bien 99.9% de chance que cela soit le cas.
Vivian monta au deuxième étage, fit mine de regarder les jupes, mais au bout de quelques minutes, elle monta au dernier étage, où se trouvait une cafétéria. Elle s’approcha du comptoir, demanda un café au lait et s’assit à une table libre. Pendant que refroidissait un peu le café, elle fit défiler les messages sur son portable.
Le Créditeur, assit à une table proche, caché de la vue de Vivian, vit comment elle tapait sur le clavier de son portable. Il vit alors une personne s’approcher de la table, et déposer discrètement une enveloppe dans la poche de la veste de Vivian. Tout de suite après, la jeune femme prit sa veste, et après avoir aspiré la fin de son café, sortit de la cafétéria sans faire attention au Créditeur qui l’observait pensivement. Avant de sortir du centre commercial, elle acheta un porte-monnaie au rez-de-chaussée au cas où on se serait étonné qu’elle revienne les mains vides. Le Créditeur la suivait tranquillement, sachant qu’il ne pouvait que difficilement la perdre de vue.
Enfin, Vivian prit le chemin du retour. Le Créditeur l’observait encore quand elle s’arrêta au croisement situé juste devant ses bureaux, attendant que le feu change de couleur. C’est alors qu’un conducteur perdit le contrôle de son véhicule et s’élança directement vers les passants qui s’étaient arrêtés au feu. Le temps parut s’arrêter alors que les roues de la voiture tournaient à une vitesse ultrasonique et que Vivian vit la voiture s’approcher sans être capable de réagir. La voiture heurta le trottoir et renversa ainsi quelques personnes qui tombèrent, dont Vivian. On entendit beaucoup de cris et de plaintes tandis que d’autres passants s’approchaient pour secourir les blessés. Personne n’était gravement blessé, mais quelqu’un appela quand même une ambulance. Rapidement, on entendit des sirènes, et quelques minutes après, la police et les secours étaient sur les lieux.
Le Créditeur observait au loin comment un ambulancier s’occupait de Vivian qui avait une entaille à la tête qui saignait abondamment.
— Je ne veux pas vous faire peur, madame, lui dit l’ambulancier, mais le sang est abondant. Vivian le regarda avec dédain sans répondre.
— Il va falloir aller à l’hôpital, continua l’ambulancier. Pour faire quelques tests.
— Ce n’est pas nécessaire, je vais bien, affirma Vivian en essayant de se relever.
— C’est pour votre bien. Cela ne durera pas longtemps.
— Merci, mais non. J’ai des affaires à régler, rétorqua-t-elle en faisant quelques pas vers ses bureaux.
C’est alors qu’elle mit la main dans la poche de sa veste et remarqua que l’enveloppe ne s’y trouvait plus. Son visage perdit toutes ses couleurs pendant un instant, mais elle retrouva vite son esprit et le sang froid qui la caractérisait - mais néanmoins pas assez rapidement pour que le Créditeur ne le remarque pas de là où il était. Elle se retourna pour voir si l’enveloppe n’était pas au sol, mais avec les blessés, les ambulanciers, la police et les curieux, il était impossible de voir quoi que ce soit. Au fur et à mesure qu’elle regardait autour d’elle, elle s’énervait contre elle-même : jamais elle n’avait fait de crise de nerfs ou commis une telle erreur.
L’ambulancier, qui ne l’avait pas quitté des yeux, s’approcha d’elle et lui dit :
— Au moins, entrez un moment dans l’ambulance pour que je vérifie votre entaille. Elle risque de nécessiter des points.
Vivian le regarda avec moins de suffisance, et avec un simple mouvement de tête, accéda à la demande de l’ambulancier. Pendant qu’on soignait Vivian, un autre ambulancier amenait d’autres blessés à l’hôpital dont notamment le conducteur de la voiture. Le Créditeur, dissimulé, remit dans la poche de sa veste le portable avec lequel il avait pris quelques photos de ce qu’il s’était passé, autant des lieux de l’accident que de ses protagonistes.
Un quart d’heure plus tard, Vivian sortait de l’ambulance après avoir promis d’aller à l’hôpital après son travail ou même avant si jamais elle se sentait nauséeuse ou avait mal à la tête. Elle avança vers ses bureaux tout en regardant sa montre, qui lui rappela qu’elle avait perdu beaucoup trop de temps - un temps qu’elle ne pourrait récupérer et qui lui ferait perdre quelques gains. La perte de l’enveloppe était un terrible contre-temps, mais elle espérait le résoudre au plus vite. Elle trouvait toujours le moyen de sortir gagnante de n’importe quelle situation - comme preuve, son mariage avec Peter, sur lequel elle repensa sans raison apparente. Elle regarda à nouveau l’heure : Peter et Alexis devaient déjà avoir terminé leur consultation. Elle prit alors son téléphone dans un geste instinctif. Elle chercha dans ses contacts le numéro de Peter mais s’arrêta au dernier moment. Le Créditeur, attentif à la moindre action de Vivian, souffla, sans s’en rendre compte, de soulagement.
Vivian entra ensuite dans l’édifice et disparut de la vue du Créditeur. Quelques minutes après, elle était assise à son bureau, les doigts sur le clavier de son ordinateur et une idée dans la tête, ou mieux dit, un objectif : l’enveloppe et son destin. Son esprit suspicieux lui soufflait que peut-être l’accident n’était qu’un coup monté pour lui substituer l’enveloppe. Elle tapota nerveusement ses doigts sur la table du bureau, calculant quel serait le prochain pas à effectuer. D’un côté, elle était sûre que si elle informait le Créditeur, il retrouverait l’enveloppe, c’était certain. Elle était assez proche du Créditeur pour savoir qu’il ne connaissait pas la curiosité et que jamais il ne regarderait ce qui se cachait dans l’enveloppe, ce qui n’était pas forcément le cas des autres subalternes qu’elle avait sous la main. Mais c’était pourtant quelque chose qu’elle devait faire seule.
Ce que Vivian ignorait, c’est que le Créditeur, une fois que tout fut revenu dans l’ordre sur les lieux de l’accident, s’approcha et chercha minutieusement, bien que discrètement, l’enveloppe. Puis, il chercha une piste qui lui indique le prochain pas à suivre, l’enveloppe cachée dans sa veste. C’est alors que son portable sonna. Il le laissa sonner plusieurs fois avant de finalement se décider à le prendre pour voir qui l’appelait. De cette manière, il savait que celui ou celle qui l’appelait deviendrait nerveux, et qu’il serait ainsi au contrôle de la conversation. Mais il fut surpris : Peter ne l’avait encore jamais appelé, il était même étonné qu’il ait son numéro.
— Salut, qu’est-ce qu’il se passe ? lui demanda-t-il.
— Où es-tu encore ? cela fait plus de deux heures que tu es parti! exagéra-t-il.
— Il y a eu quelques imprévus, mais je serai bientôt de retour. Je te manque, c’est ça petit frère ?
— J’ai montré la photo d’Alexis à tous les passants et j’ai demandé à Sultan d’aboyer si jamais ils mentaient.
— Très intelligent, petit frère. Je suis surpris, commenta-t-il alors qu’il continuait à observer l’immeuble dans lequel se cachait Vivian.
— Personne ne l’a vu et Sultan n’a pas aboyé, mais je ne vois pas comment c’est possible. Pour moi, il est sénile, dit-il et aussitôt Sultan aboya, offensé.
— Tu as demandé si quelqu’un avait vu une voiture s’éloigner rapidement ? Ou si quelqu’un avait vu quelque chose d’étrange, d’inhabituel ?
— Non. Attends un moment, je vais aller demander.
Peter arrêta alors une dame pour lui poser des questions, puis une autre, et une autre, tandis que le Créditeur était encore en ligne.
Pendant ce temps, dans le bureau de Vivian, sa secrétaire interrompit les pensées de sa chef. Vivian la regarda froidement, mais l’efficace secrétaire la connaissait suffisamment pour ne pas se laisser déstabiliser par un regard pareil.
— Excusez-moi de vous déranger, mais vous avez une visite. Il n’était pas dans votre agenda, mais il m’a dit que c’était important que vous le voyiez.
Vivian, toujours maîtresse d’elle-même, et ce même dans les moments où elle était le plus irritée, dit à sa secrétaire qu’elle recevrait le visiteur, qui que se soit. Et pour tout avouer, sa curiosité était piquée…
Au bout d’une minute, un homme à l’aspect humble et plutôt nerveux entra.
Épisode 6 — Réunion à trois
Peter s’appuya avec indolence sur un banc tandis qu’il essuyait avec le bord de sa manche la légère sueur qui coulait sur son visage. Il soupira de fatigue : il ne savait plus quoi faire pour retrouver son fils. Il se sentait épuisé autant physiquement que psychologiquement : il faisait plus d’effort qu’à l’accoutumée. Son fils ne pouvait pas s’être perdu puisqu’il savait parfaitement où il habitait.
— Que pouvons-nous faire maintenant, Sultan ? Je ne sais pas quoi penser de tout ça.
Une voiture s’arrêta alors devant lui et le conducteur lui fit signe de s’approcher. Peter obéit tandis que Sultan grognait en soufflant et hérissait ses poils. Il fut surpris de reconnaître le dentiste sans sa blouse blanche et sans son odeur d’antiseptique.
— Montez dans la voiture, lui dit— il, on doit parler.
— Tais-toi, Sultan, ordonna Peter au chien qui grognait, tout en entrant dans la voiture. C’est le docteur Bistouri.
Sultan lui obéit, non pas parce que Peter lui avait demandé, « depuis quand devait-il obéir à ce casse-pieds ? », mais parce qu’il était très curieux de savoir ce que le dentiste avait à dire.
— Je suis désolée que vous soyez en plein dans ce bourbier, vous et votre fils, commença-t-il. J’ai ceci, je crois que c’est de votre fils, ajouta-t-il en lui montrant des dessins de personnages Disney.
— Franchement, ça ne me dit rien. Vous êtes sûr que c’est mon fils qui les a fait ?
— Pourquoi croyez-vous que votre chien grogne ? Prenez-les et faites-les lui sentir.
Peter s’exécuta et Sultan jappa joyeusement deux fois avant de montrer les dents, menaçant.
— Ce n’est pas moi qui détiens votre fils, mais je peux vous aider à le retrouver.
Soudain, et avant que personne ne puisse réagir, le dentiste démarra en trombe la voiture, laissant Sultan sur le trottoir et un Peter surpris par la réaction de son dentiste.
— Pourquoi avez-vous fait ça ? Sultan, Sultan, cours! cria Peter, mais Sultan ne lui prêta pas attention, préférant attendre le Créditeur.
— Vous ne savez pas tout ce qu’il s’est passé. Je n’ai pas pu l’éviter, même si j’avais voulu… commenta le dentiste. Ce n’est pas une excuse. Mais c que vous devez savoir c’est que moi et Xenia, Xenia et moi, avons une mission à réaliser et que cela faisait des mois que nous attendions le signal.
Peter le regarda, bouche bée : il n’était pas capable de penser à une question intelligente, il n’était même pas indigné, ni même ne semblait en colère de la disparition d’Alexis.
Le docteur Bistouri ne dit rien de plus pendant un moment tandis qu’il continuait à conduire vers là où les attendait l’infirmière.
— Si vous voulez, je peux vous aider à retrouver votre fils. D’accord ?
— Je veux bien, répondit Peter malgré sa voix intérieure qui lui susurrait faiblement que ce n’était peut-être pas la meilleure réponse à faire.
— La première chose que vous devez savoir c’est que tout doit rester entre vous et moi. Vous ne pouvez le raconter à personne, ni à la police, ni à votre femme, ni à personne que vous connaissez.
Peter ne crut pas nécessaire de répondre, puisqu’il ne s’approcherait jamais d’un commissariat et qu’il était incapable de dire ce qui lui faisait le plus peur entre tout raconter à sa femme ou au Créditeur, dont il incluait le dernier dans les personnes qu’il connaissait et à qui il ne devait donc rien dire. Mais est-ce que cela incluait Sultan ?
— D’abord, nous allons retrouver Xenia, et à nous trois, nous réfléchirons sur ce que nous pouvons faire, dit le docteur Bistouri sans penser avec qui il était en train de parler.
Peter remua sur son siège, inquiet, tandis que de sa bouche sortait un murmure inintelligible.
Au bout de quelques minutes, le docteur Bistouri arrêta la voiture près de Xenia. Le docteur courut pour l’embrasser.
— Ce n’est pas le moment, murmura-t-elle. Nous avons des choses importantes à faire.
Le docteur la lâcha avec regret et fit signe à Peter de s’approcher, ce que fit immédiatement Peter tout en se passant la main dans les cheveux, tentant de dompter quelques mèches rebelles. En voyant la jeune infirmière, il se souvint du trou qu’il avait encore dans la bouche.
— Ma bouche! cria-t-il, tout en la montrant.
— C’est vrai, je suis désolée. Comme vous le comprendrez, je ne peux pas finir le travail ici, mais je peux vous donner un calmant bien fort qui vous apaisera durant quelques heures.
Peter la regarda, soupçonneux. Pouvait-il vraiment faire confiance à une dentiste qui laissait un travail à moitié terminé pour je-ne-sais quelle raison ?
— Alors ? Ça sera rapide.
Peter hocha la tête et regarda l’infirmière préparer l’injection. Le docteur s’approcha alors de lui, mais à cet instant, l’imagination fructueuse de Peter s’accéléra : ce qui était une simple injection se convertit en une gigantesque injection, provocant une émotion viscérale en Peter, qui fit marche arrière et, après avoir émis un glapissement, se retourna et se mit à courir en criant :
— Ils veulent m’assassiner!!
Le docteur et l’infirmière le regardèrent s’éloigner.
— On devrait le suivre. Il pourrait tout révéler, commenta le docteur.
Ils se regardèrent, elle, consciente de porter des chaussures à talons hauts, et lui, convaincu qu’il ne convenait pas à sa dignité de courir, pas même pour faire du sport.
— On pourrait se diviser. Un mène à bien la transaction et l’autre porte secours à l’enfant, suggéra-t-elle.
Le docteur la regarda avec peine, la peine de devoir se séparer d’un si beau spécimen, même s’il comprenait bien qu’elle avait raison, elle avait toujours été la plus intelligente des deux.
Pendant ce temps, Peter continuait à courir et à crier jusqu’à ce que, faisant un faux-pas, il essaya de se rattraper à cloche-pied durant quelques mètres, avant de se cogner contre quelqu’un. Il s’arrêta à cause de sa douleur au pied mais aussi à cause de la surprise produite par le coup.
— Regarde où tu vas un peu! s’exclama l’armoire à glace.
— Est-ce que le dentiste fou me suit toujours ? demanda Peter tout en frottant son pied contusionné.
L’homme le regarda comme si c’était lui le fou et s’éloigna rapidement, malgré sa carrure, il ne voulait pas traiter avec un fou.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi il s’en va ? » se demanda Peter en le suivant. L’homme ne lui répondit pas et pressa son pas.
— Ne courrez pas, s’il vous plaît. Vous devez m’aider à trouver mon fils. Vous êtes les muscles et moi l’intelligence.
— Ne me suivez pas! Je ne vous connais pas.
— Je ne vous connais pas non plus. Mais vous dégagez de bonnes ondes et il faut bien une première fois à tout, lui dit-il même si l’homme dégageait une odeur de crasse mêlée d’alcool et que son aspect physique état tout sauf rassurant.
— Je ne sais pas où est votre fils. Ce ne serait pas mieux pour vous d’aller voir la police ? Peter ne s’était pas rendu compte que durant toute la conversation, l’homme s’était rapproché de la station de police. Il n’avait pas remarqué non plus que l’homme avait salué d’un bref mouvement de tête le policier en uniforme qui gardait la porte principale du commissariat. Mais une fois face à la station de police, il se rappela l’avertissement du dentiste : il ne comptait pas entrer là-dedans. Il préféra donc s’éloigner discrètement. Mais l’homme, policier en civil, fit signe à l’autre policier d’arrêter Peter. Ce dernier s’approcha rapidement et silencieusement de Peter, et quand il fut à son côté, lui dit :
— Suivez-moi s’il vous plaît.
Peter s’éloigna un peu plus : il n’avait jamais eu de bonnes relations avec le corps de police et il n’avait pas l’intention de s’attarder pour voir si cette fois serait différente. Le policier se mit de nouveau à son côté et lui saisit le bras, tout en lui disant :
— Ne m’obligez pas à utiliser la force.
— Lâchez-moi! cria Peter en remuant comme une anguille. Je vous ai dit de me lâcher!
— Résistance à l’autorité. Vous avez droit à… et le policier lui lut ses droits tout en le menottant.
Peter se vit de nouveau menotté, comme cela lui était déjà arrivé à quelques occasions dans le passé. Il savait que maintenant ils allaient l’obliger à entrer dans le commissariat, et il n’avait aucune idée de quand ils le laisseraient partir. Mais il avait aussi conscience qu’il avait quelque chose à faire : il devait retrouver son fils disparu. Si bien que, ni une, ni deux, il mit un coup de pied dans le tibia du policier et courut aussi vite qu’il le pouvait. Mais il avait toujours les mains menottées, ce qui le déséquilibraient, créant un choc à chaque pas qu’il faisait, jusqu’à ce que, finalement, après un dernier trébuchement, il embrassa le sol.
— Aïe! se plaignit-il avant d’essayer de se relever. Il avait foutrement mal au nez.
Au même instant, une grande ombre se rapprocha de lui et lui mit une main sur l’épaule.
— On dirait que s’est cassé, petit frère, dit l’ombre, et malgré la sobriété du ton, on notait que la situation l’amusait. Allez, nous avons des choses à faire..
Épisode 7 — L’entrée dans le parc d’attractions
Cela avait beau être un jour de semaine, le parc d’attractions était plein. Batman et Mickey Mouse avançaient avec difficulté. Mickey Mouse souriait aux enfants qui s’approchaient d’eux, mais Batman aurait plutôt préféré écarter ces morveux d’une claque.
— La montagne russe! s’exclama Alexis en la voyant devant lui. On peut y monter ? Steuplait, steuplait, steuplait!
Batman ouvrit la bouche pour répondre, mais Mickey lui indiqua d’un geste de ne rien dire, ayant deviné que ce qu’il s’apprêtait à dire était malsonnant. Batman respira donc un grand coup et prononça à la place un doux « punaise » qui plut à Mickey et qui ne choqua pas Alexis. L’enfant constata avec peine qu’ils s’éloignaient de la montagne russe, mais vit qu’un peu plus loin se trouvait une grande roue. Alexis la regarda avec les yeux du désir, mais ce souhait n’était pas non plus destiné à être réalisé. A la place, il vit qu’ils se dirigeaient maintenant vers les stands de tir.
— Je dois passer un appel, dit Batman à Mickey, surveille l’enfant.
Mickey Mouse ne semblait pas l’écouter si bien que Batman lui donna un coup à l’épaule. Mickey Mouse répondit en levant et baissant le doigt du coeur à trois reprises. Batman s’éloigna finalement un peu alors que Mickey Mouse et Alexis l’attendaient à côté du stand de tir.
— Oui, tout se déroule comme prévu, commenta Batman au téléphone. Oui, nous suivons le plan comme décidé. On reste en contact.
Juste après avoir raccroché, Batman ouvrit son portable pour en sortir la carte SIM et la substituer par une autre jetable.
— Tu ne lui as pas acheté une barbe-à-papa ? Ou des pralines ? dit-il en revenant. On doit bien s’occuper de l’enfant je te signale.
Les trois se dirigèrent donc vers un stand de friandises : Batman sortit de la monnaie, acheta une barbe-à-papa et la donna à un Alexis très surpris, qui regardait la sucrerie avec une drôle d’expression.
— Prends là, c’est pour toi.
— C’est quoi ? demanda Alexis, regardant cette chose rose. J’ai jamais goûté.
— Prends la barbe-à-papa, elle ne va pas te mordre, dit Batman alors que Mickey Mouse l’encourageait en hochant la tête.
— Ma maman ne veut pas que je mange des sucreries. C’est une sucrerie?
— Et ta mère ne t’a pas dit que c’est laid de refuser un cadeau ? Prend cette maudite barbe-à-papa, je ne vais pas le faire pour toi.
Alexis plissa les lèvres et respira par à-coups tandis que ses yeux se remplissaient de larmes. Il n’était pas habitué à être traité de la sorte.
— Mais que fais-tu ? Ce n’est qu’un enfant! le récrimina Mickey Mouse devant cet accès de colère. Puis, il prit la main d’Alexis, qui rapidement, retrouva son calme.
— Espérons que cette journée passe rapidement pour qu’on puisse rendre cet enfant… déclara Batman.
Les trois avaient semblé marcher sans but apparent, mais pourtant leurs pas les avaient mené jusqu’à un manège dont l’affiche indiquait que se cachait à l’intérieur un monde magique créé grâce à un jeu de miroirs.
Alexis regarda l’édifice avec des yeux gourmands, mais cette fois-ci, ne dit rien. Il ne comprenait pas pourquoi ces bonshommes l’avaient emmené dans ce lieu et ne le laissaient pas monter dans les attractions.
Les trois entrèrent finalement dans l’attraction aux miroirs, mais loin de se laisser divertir par les formes singulières que les miroirs formaient, Mickey et Batman conduisirent directement Alexis jusqu’à un miroir en particulier. Batman le poussa et les gonds tournèrent pour laisser place à un petit couloir.
— Où allons-nous ? demanda Alexis. Il n’obtint aucune réponse.
La porte-miroir se referma derrière eux et Alexis prit peur en se voyant entouré d’obscurité.
— Il fait très noir, dit-il, tout en prenant la main de celui qui se tenait le plus proche de lui, en l’occurrence, Batman.
— Lâche-moi, microbe! ordonna Batman, méchamment.
Mais Alexis, quand il était effrayé, n’obéissait pas aux ordres, si bien qu’il agrippa encore plus la veste de Batman de ses petites mains.
Batman grommela sur l’ennui que lui causait le morveux mais ne tenta pas de le détacher. Il ouvrit une autre porte, et ils entrèrent. Mickey Mouse appuya sur l’interrupteur, provoquant l’illumination de la pièce : devant les yeux d’Alexis apparut alors ce qui à première vue paraissait être une petite salle de jeux, mais qui en vérité était une cellule où cacher Alexis. L’enfant lâcha finalement Batman et courut s’assoir par terre, où il avait reconnu un de ses jeux favoris.
Batman et Mickey Mouse, profitant qu’Alexis soit distrait, sortirent de la pièce, fermant derrière eux la porte, laissant ainsi l’enfant seul, isolé du monde extérieur. Une fois dehors, Batman se rendit compte qu’il avait encore dans la main la barbe-à-papa et la jeta dans la première poubelle qu’il vit. Puis, il sortit son portable de la poche et réalisa un rapide appel, communiquant à son interlocuteur les derniers évènements de la vie d’Alexis.
— Allons-y, dit-il après avoir raccroché.
Pendant ce temps, Alexis, se rendant compte qu’ils l’avaient laissé seul, en profita pour remarquer, peut-être pour la première fois de la journée, que ses parents n’étaient pas là, et surtout que sa maman n’était pas là. Sa mère qui, même si elle était une personne très occupée, trouvait toujours du temps pour être avec lui, jouer avec lui, ou lui faire à manger. Il fut pris d’une peine jusqu’alors inconnue, une peine qui l’obligea à délaisser le jouet qu’il avait dans les mains et, s’asseyant dans un coin de la pièce, il commença à penser à ses parents. Il se souvint du conseil que lui répétait toujours sa mère : ne jamais se séparer d’eux. Mais parfois il ne pouvait pas faire autrement. C’était la curiosité qui l’avait poussé à se séparer de la sécurité que lui offrait son père. Cette même curiosité le poussa à parcourir du regard la pièce dans lequel il se trouvait en ce moment. En plus des différents jeux et jouets qui étaient dispersés dans la pièce, il y avait une chaise et une table sur laquelle se trouvait quelque chose recouvert par un torchon. La curiosité joua une fois de plus avec l’enfant et il écarta le torchon pour découvrir une part de gâteau au chocolat avec un verre de lait. Alexis n’avait pas de montre et ne savait pas combien de temps était passé depuis son rendez-vous chez le dentiste, mais en voyant le gâteau, il eut l’impression que cela faisait des siècles qu’il n’avait pas mangé. Rapidement, il s’assit à la table, prêt à manger cet appétissant gâteau.
Dix minutes après, il avait les mains et le visage tachés de chocolat et une moustache blanche. Il bailla à deux ou trois occasions de manière incontrôlée tout en fermant les yeux, et même s’il ne voulait pas dormir ici, il se rendit vite compte qu’il n’arrivait pas à garder les yeux ouverts. Il descendit de la chaise et se blottit sous la table, les jambes repliées contre lui.
Quelques secondes plus tard, il dormait.
Peu de temps après, entra de nouveau Mickey Mouse, qui repéra la table et s’accroupit pour voir Alexis. Il le tira avec prudence pour ne pas lui faire mal jusqu’à le faire sortir de sous la table. Il le prit entre ses bras et, traversant la pièce, le déposa dans un lit caché à la vue par un paravent. Puis, il le borda et sortit de la pièce, tentant de faire le moins de bruit possible, même s’il savait que l’enfant n’allait pas se réveiller pendant un moment.
Dehors, Batman l’attendait, et, en le voyant, jeta la cigarette qu’il était en train de fumer.
— Maintenant, nous disposons de quelques heures de libres, dit Batman. Je déteste jouer les baby-sitters.
Mickey Mouse se contenta de hausser les épaules, il commençait à connaître son compagnon d’infortune.
— Ne fais pas ça… tu sais que je n’aime pas, dit Batman. Je ne t’aime d’ailleurs pas non plus, l’ami.
Mickey esquissa la moitié d’un sourire derrière son déguisement puis fit mine de quitter son masque. Batman arrêta son mouvement avec violence et regarda autour de lui pour vérifier s’il y avait ou non beaucoup de personnes autour d’eux. Mickey stoppa son mouvement, mais il avait envie de quitter ce masque aussi vite que possible, car cela commençait à l’agacer.
— Attends que l’on soit dans la voiture. Nous sommes trop exposés ici. Quelqu’un pourrait retenir nos visages, commenta Batman tout en commençant à se diriger vers la sortie du parc d’attractions.
Quelques minutes après, ils arrivèrent à la voiture, et en la voyant, Batman jura : une roue était crevée.
— Maudits gamins! cria-t-il tout en frappant avec rage le capot de la voiture.
Épisode 8 — Un voyage improvisé
Vivian resta un bon moment distraite : d’abord à cause de la perte de l’enveloppe, puis à la suite de la visite de l’homme qui lui avait faite une demande plutôt particulière. Mais Vivian était avant tout une femme d’affaires, et plus exactement, une femme d’affaires pratique qui évaluait les pour et les contre de chaque situation d’une manière instinctive grâce à son expérience dans les affaires. Ainsi, sans même plus réfléchir que le strict minimum, elle calcula le prochain pas à faire, plus par instinct que par un cheminement rationnel.
D’abord, elle indiqua à sa secrétaire qu’elle ne voulait être dérangée sous aucun prétexte. Ensuite, elle décida de traiter la demande de l’inconnu comme s’il s’agissait d’une affaire de plus : en évaluant mentalement les possibles avantages et désavantages que la requête pouvait engendrer. Ce n’était pas de l’argent qu’il lui avait demandé, ni même un travail, c’était quelque chose d’encore moins matériel. Et Vivian, qui se laissait seulement guider par ses sentiments en ce qui concernait sa famille, pensa qu’elle pouvait faire une exception en accédant à la demande de l’inconnu. Elle devait passer plusieurs coups de fil et exiger quelques faveurs. Elle décrocha le téléphone pour réaliser une série d’appels.
Dix minutes plus tard, l’affaire était lancée, et elle pensa qu’il était bientôt l’heure de manger et qu’elle pourrait revenir chez elle : même si elle n’avait pas pour habitude de le faire, elle sentait soudain le besoin d’être proche de son fils. Est-ce l’instinct maternel qui la fit penser à son fils à ce moment même ? Est-ce cet instinct qui lui souffla d’appeler la maison pour s’intéresser à l’état de son petit après sa consultation chez le dentiste ?
Elle prit le téléphone, appela la maison, et attendit patiemment que quelqu’un décroche.
— Résidence Clarke, entendit-elle Frans répondre.
— Frans, c’est moi. Passe-moi Peter.
— Madame, votre mari ne se trouve pas en ce moment entre nos murs, répondit Frans de son langage soutenu.
Vivian regarda l’heure et répondit :
— Ce n’est pas possible. Ils avaient rendez-vous à neuf heures. Où est-ce qu’ils peuvent être ?
— Je ne sais pas, madame, répondit stoïquement le majordome.
— Fais-moi la faveur de me prévenir quand ils arrivent. Il est capable d’avoir emmené mon fils manger un hamburger dans son ancien quartier.
— Comptez sur moi, madame, et il raccrocha après les remerciements de Vivian.
L’intention suivante de Vivian fut d’appeler le portable de Peter, mais elle préféra finalement appeler celui du Créditeur.
Le portable du Créditeur sonna, et celui-ci le sortit de sa poche pour voir qui l’appelait. Il devait répondre, et décrocha donc.
— Bonjour Vivian, il y a un problème ?
— Tu es avec Peter ? Pourquoi n’êtes-vous pas revenu à la maison ? demanda-t-elle avant même d’attendre la réponse à sa première question.
— Oui, Peter est avec moi, répondit le Créditeur tout en se demandant comment répondre à la seconde question. Peter a pensé qu’Alexis aimerait profiter de cette belle journée après la visite chez le dentiste, si bien que nous nous promenons.
— Ne tardez pas trop. Dis à Peter que je les attends pour manger.
— Je lui dis, Vivian. Au revoir. - et il raccrocha avant que Vivian ne puisse penser à une autre question inopportune pour en savoir plus sur la localisation de sa famille.
Конец ознакомительного фрагмента.
Текст предоставлен ООО «ЛитРес».
Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию (https://www.litres.ru/pages/biblio_book/?art=57158066) на ЛитРес.
Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.