Tess
Andres Mann
Tess et Jake sont face à un dilemme. Aara, leur fille adoptive Aara a reçu un héritage conséquent de l'ennemi juré de Tess, le défunt Amir Al-Saadi. Et cette fortune est sujette à une condition quelque peu troublante : Aara dispose d'un an pour se marier à un musulman. Est-ce acceptable ? C'est ce que Tess et Jake auront à déterminer. Tess et Jake sont face à un dilemme assez singulier. Aara, leur fille adoptive a reçu un héritage conséquent de l'ennemi juré de Tess, le défunt Amir Al-Saadi. Et cette fortune est sujette à une condition quelque peu troublante : Aara dispose d'un an pour se marier à un musulman. Tess et Jake se demandent si tout cela est bien acceptable. Ils font la connaissance deux familles musulmanes, puis se retrouvent à Istanbul ; Aara devra décider si elle veut se plier à cette condition contraignante de son héritage. Pour compliquer les choses, c'est la sœur d'Amir, Fadime, qui en est l'exécuteur, et Laurent Belcour, l'intrigant aux mœurs dissolues, est devenu son amant secret. Tous deux convoitent cette fortune et devisent un plan pour se l'approprier. Dans le même temps, Belcour cherche toujours à se venger de Tess et de son équipe pour avoir déjoué ses plans diaboliques dans le passé. Il se tourne vers le groupe extrémiste djihadiste de Daesh, engagé dans une lutte existentielle avec l'Irak et la Syrie. Voilà tout ce qui attend Tess et Jake...
TESS
Choc des Civilisations
ANDRES MANN
Copyright © 2019 Andrew Manzini
Tous droits réservés.
Sauf conformément à l’US Copyright Act de 1976, aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, transmise sous quelque forme que ce soit ni par quelque moyen que ce soit, ni stockée dans aucune base de données ou système de recherche documentaire, sans l’autorisation écrite préalable de l’éditeur. Ceci une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les incidents sont le produit de l'imagination de l'auteur ou sont utilisés de façon fictive. Toute ressemblance avec des personnes vivantes ou mortes, des événements ou des lieux est totalement fortuite.
Traduit par Fabienne Ranjalahy Snow
V 7
Pour la vraie Tess, celle qui m'a inspiré cette histoire.
Table des matières
Préface (#ulink_ce261542-c15f-5c0c-922c-e18261759b83)
Liste des principaux personnages (#ulink_5cdcd728-0986-5704-8dd1-a4d412c259ff)
1. Nouvelle Tentative (#ulink_f1fbf6df-675c-55b5-a1af-b143652d19ae)
2. Une Semaine en Enfer (#ulink_592c991a-b89a-5da3-94f5-761584ea6207)
3. L'Héritage (#ulink_77acf1a8-90a3-589a-915d-cdd46fd56c04)
4. Âmes-Sœurs (#ulink_1be22ec3-f731-5c02-ba03-096fd30c4f48)
5. Bulletin de Notes (#ulink_78c3c577-a8ea-5b5c-8479-b74e9a976f29)
7. Qu'Elle Paie (#ulink_406e8547-1109-53d9-9596-4fd9438a1136)
8. Guerrières au Cœur Tendre (#ulink_b68bbf77-f9d1-5161-a587-a60bcc95062e)
9. Le Piège (#ulink_6fcfeb2d-e894-5c9d-a000-db81a5e59b4d)
10. Travail Inachevé (#ulink_e4bc3a31-cb77-5891-897a-9b3ebdbe664f)
11. Les Fantômes de Palmyre (#ulink_25dfd71f-3b98-5f85-9aee-ac11b8dac658)
12. Des Valeurs Différentes (#ulink_4d6cf96c-9c7b-544d-ae0c-5b2b9f0bfd16)
13. Promenade dans le Jardin (#litres_trial_promo)
14. Tireur d'Élite dans l'Âme (#litres_trial_promo)
15. Giuliana (#litres_trial_promo)
16. Plan Machiavélique (#litres_trial_promo)
18. Mauvaise Nouvelle (#litres_trial_promo)
19. Madeleine (#litres_trial_promo)
20. Hors des Sentiers Battus (#litres_trial_promo)
21. Petit Incident de Voyage (#litres_trial_promo)
22. Délices Culinaires (#litres_trial_promo)
23. Héritage (#litres_trial_promo)
24. Une Autre Famille (#litres_trial_promo)
25. L'Héritage de l'Histoire (#litres_trial_promo)
26. L'Arrivée des Valkyries (#litres_trial_promo)
27. Grimper au Sommet (#litres_trial_promo)
28. Romance dans l'Air (#litres_trial_promo)
29. Mariage Mixte (#litres_trial_promo)
30. L'Escapade d'Yasmin (#litres_trial_promo)
31. Mort à Mossoul (#litres_trial_promo)
32. La Fin de l'Horreur (#litres_trial_promo)
33. Vérification (#litres_trial_promo)
34. Infâme Complot (#litres_trial_promo)
35. Aveu de Malversation (#litres_trial_promo)
36. Amour et Séduction (#litres_trial_promo)
37. Garder le Cap (#litres_trial_promo)
38. Coutumes de Mariage (#litres_trial_promo)
39. Grosse Déception (#litres_trial_promo)
40. Enterrer la Hache de Guerre (#litres_trial_promo)
41. Attaque sur l'Équipe (#litres_trial_promo)
42. Faveur (#litres_trial_promo)
43. Bacchanales (#litres_trial_promo)
44. L'Assaut (#litres_trial_promo)
45. Affaires de Famille (#litres_trial_promo)
46. Vieux Péchés (#litres_trial_promo)
47. Aara et Madeleine (#litres_trial_promo)
48. Bannir l'Incube (#litres_trial_promo)
49. Choc des Civilisations (#litres_trial_promo)
50. Le Temps de la Guérison (#litres_trial_promo)
Références (#litres_trial_promo)
À propos de l'auteur (#litres_trial_promo)
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Préface
Ce livre est une œuvre de fiction, même si des noms de personnes réelles dans l'actualité sont utilisés. J'ai essayé de maintenir le déroulement de l'action en conformité avec des faits connus. Cependant, une grande partie de cette histoire est basée sur des événements contemporains documentés qui ont été rapportés par les médias internationaux. Toute ressemblance des personnages avec des personnes réelles est purement fortuite.
Les opinions et commentaires politiques exprimés dans cet ouvrage sont ceux de l'auteur.
Andres Mann
Liste des principaux personnages
Les Valkyries
Morgan Theresa Turner, Tess pour ses amis et les membres de sa famille, pilote militaire et vice-présidente de la compagnie de services militaires SRD.
Carmen Cabrera, pilote d'hélicoptère, amie proche de Tess et top manager à SRD.
Galina Kutuzova, pilote d'hélicoptère russe et experte en base de données.
Yasmin Badawi, archéologue syrienne, prisonnière d'ISIS, plus tard membre de SRD.
Ifeyinwa Idigbe Ukume, dénommée Alice, détective nigériane.
Eva Bar-Lev, ex-agent du Mossad israélien et Directrice Générale de SRD à Paris.
Giuliana Malatesta, pilote italienne, femme de terrain.
Aara Vickers, fille adoptive de Jake et Tess, étudiante en piano à la Julliard School of Music.
Les Hommes
Jake Vickers, mari de Tess. Ex-agent de la CIA et président de SRD.
Morgan Turner, général à la retraite. Père de Tess et actuel PDG de NTC, fabricant de systèmes d'armement de pointe.
Nicola Orsini, mari de Carmen. Pilote italien, expert en systèmes d'armement européen et linguiste accompli.
Alexandre Ivanovich Tukhachevsky, ou Alex Tuck, spécialiste russe en armement.
George Kimmel, professionnel du renseignement militaire et amant d'Yasmin.
John Powers, spécialiste en armement.
Autres Personnages
Claudine Bisson, pilote de chasse française et ancienne directrice de SRD à Paris.
Vaughn Wentworth, célèbre chef d'orchestre de musique classique et agent britannique du MI6.
Laurent Belcour, ancien chef de l'OID (Organisation Internationale de Développement), impliqué dans la traite des êtres humains et le terrorisme.
Fadime al-Saadi, personnalité mondaine, sœur du défunt Amir al-Saadi, un général irakien d'origine turque.
Nazar Hazinedar, ingénieur turc.
1. Nouvelle Tentative
Jake Vickers, Alex Tuck et Nicola Orsini étaient perchés sur le toit d'un immeuble abandonné à Kobuleti, une station balnéaire sur la côte orientale de la mer Noire en ex-République Soviétique de Géorgie. Ils attendaient qu'un homme se montre.
« Comment vont les choses en Ukraine? demanda Jake.
— La routine. Livraison d'armes aux Ukrainiens et formation des pilotes, dit Nicola. Ils semblent compétents, dans l'ensemble.»
Nicola et Alex terminaient une mission de formation sur équipement pour SRD — Strategic Resources Development, la compagnie de contrats de services militaires de Jake et Tess.
« On a été surpris que tu nous demandes de nous rendre ici précipitamment, ajouta Alex. Je croyais que c'était fini de travailler pour la CIA.
— Je le croyais aussi, répondit Jake en regardant à travers les jumelles. Le problème, c'est que Paul Saunders, mon ancien patron à la CIA, est une vraie tête de mule. Il pense que je lui suis redevable pour avoir manqué d'orchestrer l'assassinat de Kim Jung-un.
— Au fait, qu'est-ce qui s'est passé en Corée du Nord ?
— Park Tan-Gyong, un célèbre violoncelliste, avait juré de se venger après que Kim Jung-un ait ordonné l'assassinat de plusieurs de ses proches. Il a lancé une attaque suicidaire contre Kim et sa famille. Je n'ai pas pu l'en dissuader et donc, après en avoir parlé à la CIA, j'ai accepté à contrecœur de l'aider. J'ai financé la construction d'un violoncelle qui comportait un compartiment secret pour y cacher un paquet de poudre mortelle de cadmium. Puis Park s'est rendu à un concert privé au palais de Kim et a lancé en direction du public. Le sachet s'est déchiré, répandant le poison en quelques secondes et les gens ont succombé. Malheureusement, Kim avait eu des soupçons, aussi avait-il envoyé quelqu'un qui lui ressemblait pour assister au concert à sa place. Par la suite, un général nord-coréen avait essayé d'organiser un coup d'état, mais Kim l'a écarté sans pitié. Aujourd'hui, il est plus paranoïaque que jamais et il ne cesse de tester des ogives nucléaires et de lancer des missiles dans la mer du Japon, menaçant les bons vieux États-Unis et leurs alliés d'anéantissement. »
Alex haussa les épaules.
« Parfois, les choses tournent mal. Ça fait partie du métier. Je n'arrive pas à croire que tu en portes de blâme.
— Ça ne me dérange pas. dit Jake. Ce n'était pas gagné. En tout cas, la CIA m'a offert une carotte : la possibilité d'épingler une de nos vieilles connaissances, Laurent Belcour.
— Encore lui ?
— Eh ouais, rétorqua Jake. Désolé de vous avoir dépêchés si vite. J'ai besoin de gens qui parlent couramment le russe et le turc.
— À ton service, dit Nicola. Mais j'ai dû réviser le turc en chemin. »
Jake avait les yeux rivés à ses jumelles.
« Il arrive. C'est le moment, les gars. »
Alex et Nicola descendirent du bâtiment. Ils coururent vers un petit pont enjambant une rivière en crue pour rencontrer leur contact, Isidore Khujadze. Ils avaient pris contact avec lui par téléphone auparavant. Nicola prétendait être Turc ; quant à Alex, il se faisait passer pour un contrebandier russe. Ils échangèrent des poignées de main puis s'engouffrèrent dans une petite voiture délabrée avant de se rendre vers un petit appartement en ville. Le plan était de se procurer du matériel qui valait son pesant d'or : quelques kilos d'uranium radioactif ainsi que de l'uranium 235 à usage militaire. La provenance du matériel était floue mais Nicola et Alex l’assurèrent que ça ne poserait pas de problème.
Jake filait le petit groupe à distance dans son 4x4 de location avec, assises à l'arrière, Tess Turner et Galina Kutuzova, toutes deux vêtues de tenues militaires de couleur sombre et équipées de fusils de précision. Quand les hommes arrivèrent devant un immeuble délabré, Jake gara la voiture derrière un petit bosquet d'arbres. Il reprit ses jumelles et vit les trois hommes entrer dans le bâtiment. Une minute plus tard, une lumière s'alluma dans un appartement du deuxième étage. Jake s'avança furtivement vers l'avant du bâtiment tandis que les deux femmes restèrent cachées derrière les arbres. Elles ajustèrent le viseur de leurs armes de haute précision.
Jake était sûr que la matière nucléaire qu'Isidore avait à vendre provenait de Russie. Quand l'Union Soviétique s'était effondrée, de l'équipement avait été volé dans les centrales nucléaires mal gardées, ce qui avait contribué à la formation de réseaux de contrebande qui essayaient de vendre ces matières dangereuses aux plus offrants. La plupart des contrebandiers ont été interceptés par les autorités, grâce à la mise en place de détecteurs nucléaires aux postes frontières. Mais les nombreuses arrestations n'avaient pas dissuadé tout le monde. L'un des lieux de contrebande les plus fréquentés était l'Abkhazie, une parcelle de terre qui s'est détachée de la Géorgie grâce à l'ingérence russe. Des problèmes similaires s'étaient produits en Ukraine, en particulier dans les zones de Donetsk et de Louhansk, aux mains des rebelles. La guerre entre l'Ukraine et les régions frontalières occupées par la Russie avait détruit 29 détecteurs de radiation, ce qui avait rendu la contrebande possible.
Jake attendait devant la porte principale de l'immeuble. La transaction à l'étage se déroula sans incident. Jake le savait grâce au micro électronique que portait Nicola. En peu de temps, Isidore avait produit une petite boîte enrobée de plomb contenant la matière radioactive. Puis il se précipita vers la sortie, la sacoche contenant l'argent à la main, et descendit les escaliers. À la sortie, il tomba sur Jake, pistolet en main.
« Vous feriez mieux de nous suivre calmement, » dit Jake.
Alex descendit en courant et les rejoignit. Il sortit un collier de serrage de sa poche et attacha les poignets d'Isidore. La voix de Nicola se fit entendre dans leur appareil de communication : « Tout se déroule comme prévu. »
Galina fit un signe du pouce à Tess Turner, qui avait observé toute l'opération à l'aide de ses jumelles.
Mais avant que l'équipe n'eut le temps d'informer le véhicule de la police locale garée une rue plus loin, deux hommes surgirent soudainement et pointèrent leurs pistolets sur Jake, Nicola et Alex. Ils les forcèrent à s'agenouiller tout en hurlant des ordres à Isidore qui essayait de récupérer la boîte de plomb qui gisait maintenant au sol. Deux coups de feu déchirèrent la nuit et les deux nouveaux arrivants tombèrent au sol. Jake et Alex éloignèrent les armes des assaillants de quelques coups de pieds et Nicola assomma Isidore avant de remettre la boîte en lieu sûr. Peu après, des agents géorgiens arrivèrent devant le bâtiment dans un crissement de frein et appréhendèrent le trio de trafiquants. Tess et Galina rejoignirent les lieux tout en passant calmement les sangles de leurs armes sur leurs épaules.
« Content de vous voir, mesdames, dit Nicola. Votre timing était parfait et votre adresse au tir, impressionnante.
— Ah, mais de rien, dit Tess. On faisait juste notre travail. »
Galina avança vers Alex et lui planta un gros baiser. Il sourit et l'entoura de ses bras.
« Maintenant tu peux te vanter de m'avoir sauvé la vie.
— C'est rien, répondit Galina. Et puis, ce serait trop compliqué de trouver un autre homme. »
Elle l'embrassa à nouveau. Tess et Jake firent de même, avec toutefois un peu plus de retenue.
Nicola regardait la scène d'un air amusé. Tess le remarqua et lui dit en plaisantant :
« Eh, pas de voyeurs ! Appelle Carmen à New York et dis-lui que tu vas bien. »
Nicola hocha la tête et composa le numéro depuis son portable.
Plus tard, le groupe se retrouva au poste de police. Des agents des renseignements locaux interrogeaient déjà les contrebandiers, dont deux d'entre eux portaient des bandages aux jambes. Jake, Tess et les autres membres de l'équipe se servirent de boissons gazeuses au distributeur et se détendirent autour d'une table dans une pièce attenante.
« Pourquoi pensez-vous que Belcour s'intéresse au marché noir de matières radioactives ? demanda Alex. Après le mauvais tour que lui a joué Daesh en détournant l'une de ses deux bombes nord-coréennes vers l'Iran, au lieu de la faire exploser en Europe, on aurait pu penser qu'il ferait profil bas.
— Il n'en a pas besoin. Il n'y avait pas moyen de lui imputer ce terrible incident. Et quoi qu'il en soit, il a pris la sage précaution de s'installer temporairement en Argentine. Maintenant la CIA le soupçonne d'être le cerveau derrière cette opération de contrebande. Comme il ne peut plus obtenir d'ogives auprès de la Corée du Nord, on a à penser qu'il va chercher à se procurer de l'uranium pour faire une arme nucléaire.
— Pour quelle raison pourrait-il bien vouloir faire ça ? C'est un homme riche.
— Ce n'est pas pour l'argent. Je pense que Belcour cherche à se venger, dit Tess. Il veut se venger du gouvernement français qui l'a accusé de faire l'apologie de la prostitution, ce qui pour lui, ne pose aucun problème. À l'époque, il était à la tête de l'OID, l'Organisation Internationale de Développement, et il avait toutes les chances de s'emparer de la présidence de la France. Comme d'habitude, ses avocats lui ont sauvé la peau, mais ça lui en a coûté.
— Ça me fend le cœur, dit Galina, allongée sur une banquette et confortablement adossée contre Alex, entourée de son bras. Ce qui m'inquiète, c'est que c'est par nous que ses plans ont échoué et il cherchera peut-être à se venger sur nous.
— Tu as raison, Galina. Je ne serais pas surpris s'il venait après nous, dit Jake. C'est pourquoi j'ai accepté de faire un dernier job pour la CIA et nous offrir la possibilité de le coincer pour de bon. »
L'un des agents géorgiens entra dans la pièce, Il avait l'air contrarié. Il essuya ses mains légèrement tâchées de sang et s'assit.
« Les blessures sont superficielles. Nous avons essayé de les faire parler mais il est évident qu'ils ont été recrutés par des tiers qui n'ont pas d'existence officielle. Même si on les battait à mort, je ne crois pas qu'ils peuvent nous en dire plus. Ils font ça pour l'argent, peu leur importe d'où ça vient.
— C'est un peu décevant, dit Jake. On laisse ces imbéciles à vos bons soins. Il nous faut trouver une autre approche. »
L'agent géorgien lui serra la main.
« Merci de votre aide. Et rentrez bien. »
Une fois rentrés à l'hôtel, l'équipe se retrouva au bar pour prendre un verre. Jake n'était pas content.
« C'est frustrant. Chaque fois qu'on essaie de le coincer, Belcour réussit à nous filer entre les doigts. Il y a un proverbe chinois qui dit : 'Si on ne change pas de direction, on finira probablement par se retrouver là où on va.' Ça décrit très bien notre situation. Nous n'avançons pas. Nous devons trouver un autre moyen de l'avoir.
— Belcour est une vraie anguille, dit Tess. Il peut se permettre les meilleurs avocats et il s'en sert sans pitié. Et puis, il a accès à plusieurs résidences dans de nombreux endroits. Quand les choses avaient pris une sale tournure la dernière fois, il s'était envolé pour l'Argentine.
— La CIA m'a dit que Belcour ne traite plus avec les Nord-Coréens, » ajouta Jake. « Apparemment, il s'est brouillé avec eux. Je ne vois qu'une seule manière pour lui de fabriquer cette bombe avec des déchets nucléaires, c'est d'aller voir Daesh et ses vieux amis djihadistes en Syrie.
— Mais Daesh l'a entourloupé la dernière fois, ils ont vendu la bombe nucléaire nord-coréenne à l'Iran au lieu de l'utiliser en Europe comme Belcour le voulait.
— Entre voleurs, point d'honneur, dit Tess. Belcour n'a pas d'autre choix que de fermer les yeux dessus. Daesh est la seule organisation qui peut transformer des déchets nucléaires en bombe.
— Mais Daesh n'a pas de laboratoires pour ça, dit Alex.
— Les terroristes n'ont pas besoin de laboratoires. S'ils fabriquent une bombe comme ça, ils le feront probablement à l'aide de prisonniers. Ils se moquent si ces derniers meurent empoisonnés par les radiations.
— Triste mais vrai, acquiesça Alex.
— Alors qu'est-ce qu'on fait ? demanda Nicola.
— Franchement, je ne sais pas, dit Jake. Il va falloir qu'on surveille et qu'on improvise. Rentrons. »
2. Une Semaine en Enfer
Les bureaux de SRD à New York et à Paris tenaient des séances régulières de condition physique pour leur personnel. Tess et Jake croyaient que la forme physique des membres de leur équipe était essentielle étant donné les conditions dangereuses de leur travail.
Leur entraînement était exigeant et difficile, mais l'équipe s'y pliait sans souci. L'exception était la fameuse semaine en enfer, quand c'était au tour de Tess d'être en charge des trois séances de maniaque. Sachant ce qui les attendait, le staff de SRD se résigna à affronter une semaine d'exercices extrêmes et épuisants, et à des séances d'arts martiaux punitives où l'on attendait d'eux rien moins que la perfection. L'exercice de mise en forme extrême débutait par un échauffement des articulations suivi de squats, pompes, levers de genou, fentes en marche et fentes avant, tractions en extension et en négatif, basculements dorsaux et se terminait par de la relaxation suivie d'une course autour de Central Park.
Morgan Theresa Turner, plus connue sous le nom de Tess, dédaignait totalement tout gémissement et toute plainte, et ne ralentissait jamais l'allure. Son intransigeante recherche de la perfection reflétait sa façon de voir la vie : dans son esprit, tout ce qui méritait d'être fait devait se faire avec une vigueur indémontable, avec les meilleurs efforts possibles, pour atteindre l'objectif ultime.
Les seules qui semblaient prendre la séance à bras-le-corps étaient Yasmin Badawi, une archéologue syrienne qui avait récemment rejoint la compagnie et suivait une formation de tireur d'élite. Elle avait aussi un objectif distinct. Aara, la fille adoptive de Tess, âgée de 17 ans, aimait prendre part aux séances quand elle n'était pas à l'école de musique. Jeune, de petite charpente et motivée, elle enfilait les exercices sans même que sa respiration en semblât affectée. Carmen Cabrera, la meilleure amie de Tess, était aussi de petite taille, mais elle avait grandi dans le sud de Los Angeles et avait développé une rage de vivre hors du commun. Galina Kutuzova, qui travaillait au département informatique, était une ancienne athlète olympique russe. Elle n'était plus adolescente et adorait ses fêtes tardives arrosées de vodka et de caviar qu'elle aimait passer en compagnie d'Alex Tuck et d'un incessant cortège d'amis russes de passage. Galina et Alex survivaient aux rigueurs des séances grâce à la combativité que les Russes avaient développée au fil des siècles. Eva Bar-Lev, qui dirigeait le bureau de Paris, travaillait pour le Mossad et était en excellente forme, mais elle aurait probablement préféré faire autre chose. Le reste du personnel ne survivait qu'en proférant des jurons envers Tess pendant les séances, jurons qui ne peuvent décemment pas être mentionnés. Les hommes de SRD avaient leurs propres séances d'entraînement et elles se déroulaient plus sereinement.
Un observateur impartial trouverait sans doute en Tess un caractère 'compliqué', pour dire peu. Fille d'un général de l'armée, elle avait perdu sa mère très jeune. Son père ne s'etait pas remarié et elle l'avait accompagné à de nombreux événements mondains auxquels des officiers du rang de son père se devaient de participer. Exposée au monde militaire durant une grande partie de sa jeunesse, Tess avait décidé d'embrasser une carrière militaire plutôt que d'entrer au conservatoire de musique pour affiner ses talents de pianiste. Elle avait été admise à l'académie militaire de West Point, obtenu son diplôme avec distinction et était devenue pilote, qualifiée sur plusieurs types d'hélicoptères. Elle avait épousé Roger, un camarade de classe, non par amour, mais comme un trophée alors qu'elle poursuivait sa carrière. Le mariage n'avait pas duré ; on pouvait, au mieux, qualifier leur relation de tiède. Et puis, Tess avait surpris Roger qui la trompait dans un hôtel de Las Vegas. Ils étaient censés y passer un week-end en amoureux mais Tess arriva en retard. Roger y vit une occasion de profiter subrepticement d'une aventure et Tess le retrouva dans une situation compromettante. Elle avait jeté la femme nue hors de la chambre d'hôtel et saccagé les locaux tout en essayant de battre Roger jusqu'à la moelle. Jake passait par là et intervint pour empêcher Tess d'enfreindre la loi en l'éloignant du chaos que la scène avait causé. Jake et Tess avaient fini ensemble et il avait découvert qu'il allait devoir passer le plus clair de son temps à la secourir de situations qu'elle avait le don d'avoir compliquées à souhait.
Tess avait du talent, mais elle était aussi obsessionnelle, implacable, perfectionniste et voulait très sérieusement sauver le monde. Les hommes étaient attirés par la passion qui émanait d'elle, et par sa beauté, mais ils se rendaient vite compte qu'elle pouvait donner du fil à retordre. Jake avait relevé le défi et l'épousa, pleinement conscient que d'être avec elle s'apparentait à monter un taureau enragé.
Quand Tess et Jake avaient quitté l'armée, ils avaient créé SRD, une compagnie de prestations en services militaires auprès du gouvernement, livrant ainsi des avions et des équipements aux alliés. Tess était devenue pilote de haut niveau, sur quelque appareil que ce soit, et avait pris part à de nombreux combats en Irak, au Nigeria, et même contre les cartels au Mexique.
En parallèle, Tess avait lancé un projet de lutte contre la traite des êtres humains et avait failli mettre leur compagnie en faillite. Mettant à profit les talents de pianiste de Tess, Jake entrevit une occasion de se renflouer et recruta des femmes pour SRD qui étaient également capables de jouer d'un instrument de musique. Ainsi fur créé l'Ensemble Valkyries. La musique de chambre qu'elles jouaient gagna en popularité et les concerts qu'elles donnèrent finirent par rapporter assez pour financer les projets de Tess en lutte contre la traite des personnes. Comme d'habitude, dans l'esprit de Tess, toute entreprise devait s'exécuter à la perfection et elle s'était financièrement impliquée en recrutant des professeurs de musique pour qu'elle-même et ses collègues puissent jouer de façon professionnelle.
SRD devint bientôt une équipe assez singulière capable de piloter des engins, livrer des armes, combattre les méchants et jouer de la musique, tout en même temps. Cette approche fonctionnait, d'une certaine manière ; Jake et le reste de l'équipe s'étaient rangés à la quête obsessionnelle de perfection de Tess et à son envie de faire le bien là où c'était possible.
Heureusement, Tess avait un cœur en or, protégeait farouchement ceux qu'elle aimeait et n'hésitait pas à aller au bout du monde pour eux. Pour autant que Tess mit les membres de son équipe à l'épreuve, elle ne leur demandait jamais quoi que ce fût qu'elle ne ferait elle-même. Les gens de SRD lui vouaient une loyauté et un esprit d'équipe sans faille et quiconque se frottait à eux les savait redoutables.
C'était à Jake que revenait la tâche de ménager Tess et ça n'avait jamais été chose facile.
3. L'Héritage
L'armée américaine engagea SRD pour livrer de nouvelles armes aux YPG - Yekîneyên Parastina Gel - les unités de protection du peuple kurde, qui constituaient les combattants les plus efficaces contre le groupe djihadiste Daesh en Syrie. Jake dut organiser plusieurs réunions de coordination avec son personnel, pour examiner les budgets, coordonner l'acquisition et le transport d'armes et mettre au point, avec Nicola Orsini, un plan de formation des Kurdes qui se rassembleraient à Raqqa, en Syrie.
À la fin d'une longue journée de réunions de projet, Jake rentra à l'appartement de Manhattan où il trouva Tess dans la cuisine portant un tablier. Il lui fit un bisou sur la joue pour la motiver, bien que ce ne fût pas nécessaire. Tess avait déjà préparé casseroles, épices, viandes et fromages sur le comptoir, prête à exécuter ses recettes comme s'il s'était agi d'une opération militaire. Comme il était impossible de détourner l'attention de Tess de la tâche qu'elle s'était assignée, Jake se rendit dans son bureau et s'assit à son ordinateur pour lire son fil d'infos. Sebastian, son bouledogue — qu'ils appelaient aussi Tubby, ou encore Fathead, selon la gravité des problèmes dans lesquels il s’était empêtré — se précipita sous le bureau pour s'y installer et poser ses bajoues sur les pieds de Jake. Jake n'avait jamais compris comment le chien parvenait à ne pas finir sous les roues de son fauteuil. Il fallut moins d'une minute au chiot pour ronfler et baver béatement. Bien trop classe et peu soucieuse de se retrouver face à des semelles souillées, Maggie, l'épagneul Cavalier King Charles parfaitement toiletté de Tess, sauta sur le canapé et opta pour une sieste sur un joli coussin moelleux.
George Kimmel, l'as du renseignement militaire de la compagnie, fournissait régulièrement à Jake des résumés des nouvelles du monde. Le rapport trimestriel pullulait de faits nouveaux.
Les Russes s'étaient ingérés dans l'élection présidentielle américaine et étaient soupçonnés d'avoir affaiblir le candidat démocrate au profit de Donald Trump. Le terrorisme à l'échelle mondiale était plus que jamais d'actualité. Plusieurs attaques dévastatrices menées ou inspirées par Daesh avaient fait des dizaines de victimes à Paris, Nice, Bruxelles, Manchester et Londres. À Mossoul, les forces irakiennes étaient sur le point de déloger Daesh, et les combats acharnés et sanglants faisaient de nombreuses victimes. Une alliance de forces kurdes, syriennes, turques et de divers groupes rebelles avaient encerclé Raqqa en Syrie, la capitale de facto de l'État Islamique. Les Américains apportaient leur soutien aérien dans ces deux villes, et les Russes faisaient de même à divers endroits en Syrie, tout en gardant en tête leur objectif, qui était d'apporter leur soutien au régime assassin syrien.
Le téléphone sonna mais Jake ne décrocha pas. Lui et Tess avaient une règle stricte selon laquelle aucune interruption n'était permise avant et pendant le dîner. Il termina sa lecture. Le téléphone sonna à nouveau. Puis encore. Quiconque appelait semblait bien obstiné. À contrecœur, Jake finit par décrocher et grommela un "Oui".
L'homme déclina son identité. « Monsieur Vickers, je m'appelle Paul Mitchell, l’avocat de Madame Fadime al-Saadi. Vous vous souvenez peut-être d'une réunion que nous avions eue concernant Aara, la nièce de Madame Fadime.
— Oui, je m'en souviens, Monsieur Mitchell. C'était il y a plusieurs années et je pense que l'affaire est maintenant close.
— Pas de souci là-dessus, Monsieur Vickers. Je ne fais que transmettre une information de la part de ma cliente. À ses dix-huit ans, Aara recevra un héritage assez conséquent. Je crois comprendre qu'elle les atteindra dans deux mois.
— Monsieur Mitchell, je crains que tout futur contact entre Madame Fadime et Aara soit une mauvaise idée. Comme vous le savez, cette enfant a vécu une expérience traumatisante et je ne pense pas qu'il soit opportun de rouvrir ce chapitre de sa vie.
— Monsieur Vickers, peut-être dois-je mentionner que l'héritage provient du défunt père d'Aara, le général Amir al-Saadi et que son montant est considérable.
— Peut-être bien. Mais Aara ne manque de rien. Qu'il y ait plus d'argent à la clé ne nous fera pas changer d'avis.
— Monsieur Vickers, nous parlons de dizaines de millions de dollars. Avec tout le respect que je vous dois, je pense que c'est une décision q’uil revient á Mademoiselle Aara, de prendre. Pas à vous. Je vous prie, et j'insiste, de l'accompagner à mon bureau où elle rencontrera Madame Fadime qui vous expliquera tout en détail.
— Je dois en parler avec ma femme qui, sans l'ombre d'un doute, voudra connaître ce que rencontrer Fadime implique.
— Si vous insistez, Monsieur Vickers. Je propose d'organiser une réunion à mon bureau. En début du mois prochain, cela vous convient ?
— Tout dépendra si ma femme accepte la rencontre.
— J'attends votre confirmation. Au revoir. »
***
Jake s'adossa dans son fauteuil et réfléchit un instant. Il craignait que cette nouvelle n'entraîne une véritable tempête de la part de Tess. Ses échanges avec Fadime avaient été pour le moins orageux. Lors de leur dernière rencontre, Tess avait jeté Fadime à travers la pièce et lui avait cassé le bras. Le comportement de Tess avait été complètement justifié mais Jake ne voulait pas que cela se reproduisit. La meilleure façon de gérer la situation était qu'il rencontre l'avocat, mais il devait en parler à Tess au plus tôt, ce qui pouvait entraîner des problèmes entre eux. Il décida de prendre le taureau par les cornes et d'en informer Tess après le dîner.
Tess se trouvait encore dans la cuisine, toute à sa nouvelle passion, la cuisine gastronomique. Quelques mois plus tôt, Carmen, sa meilleure amie, lui avait conseillé d'acquérir ce nouveau talent pour se réconcilier avec Jake ; le couple s'était séparé suite à un houleux épisode d'aventures extra-conjugales que chacun avaient eues. Les beaux-parents de Carmen en Italie avaient donné à Tess un cours intensif de cuisine italienne. Fidèle à sa nature obsessionnelle et perfectionniste, Tess apprit tout ce qu'elle put sur l'art culinaire et en conclut que c'était, après tout, un apprentissage digne d'être poursuivi. Contrairement à Jake, gourmet avide et aventureux, Tess était plutôt du genre viande et pommes de terre, mais elle avait décidé de poursuivre ses efforts culinaires pour réparer leurs blessures de couple. Quand ils ne dînaient pas dehors, ils cuisinaient à tour de rôle : Tess préparait des plats relativement sophistiqués ; Jake déclinait des variations de viandes et de rôtis qu'elle préférait. Ce que Tess préparait à l'instant sentait délicieusement bon, ce qui poussa Jake à passer dans son dos pour la serrer dans ses bras.
« On ne dérange pas le chef, dit Tess en s'esquivant. Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, c'est mon tour de te nourrir ce soir.
— Et j'en suis fort reconnaissant, Madame le Chef. Tout ça m'a l'air succulent.
— Ça l'est. Et maintenant, aide-moi à dresser la table.
— Avec plaisir, je m'en occupe, » dit Jake en prenant assiettes et couverts.
Le repas fut délicieux : plateau d'antipasto aux figues, pain croustillant et fromage bleu ; fettucine fraîches en sauce crémeuse avec crevettes et champignons ; et au dessert, crème caramel.
Après quoi, le couple se retira sur le balcon surplombant la Cinquième Avenue de New York avec des verres de brandy. Les gratte-ciels étaient illuminés, en fier signe de prospérité de leurs résidents fortunés.
« Tess, j'ai eu un coup de fil cet après-midi. C'est à propos d'Aara.
— Ne me dis pas qu'elle s'est mise dans le pétrin à l'école.
— Non, rien de la sorte. Aara est l'enfant la plus appliquée que j'aie jamais connue.
— J'ai eu un appel de Sofiya, sa prof de piano à Julliard, intervint Tess. Elle est impressionnée par son travail assidu et sa technique au piano. Elle nous propose de faire une revue de ses progrès la semaine prochaine.
— Super, j'aimerais bien voir ça. Au fait, où est Aara ce soir?
— Elle passe la soirée chez son amie Suzy. Elle sera de retour dans environ une heure. Alors, de quoi il s'agit ?
— J'ai reçu un appel de l'avocat de Fadime. Lui et Fadime veulent nous rencontrer, Aara et nous. Apparemment, Amir a laissé beaucoup d'argent à Aara pour dix-huit ans.
— Alors pourquoi ne pas lui envoyer un chèque et en finir ? Rencontrer Fadime est bien le dernier de mes soucis. Je pourrais être tentée de terminer ce que j'avais commencé et lui briser son autre bras.
— Tess, cela semble sérieux. Apparemment, l'héritage s'élève à plusieurs millions.
— Aara a déjà tout ce dont elle a besoin. Elle n'a pas besoin d'argent sale.
— Si l'argent vient de son père, c'est qu'il s'agit d'une fortune ancienne, et donc légitime. En tout cas, j'ai le sentiment que c'est à elle de prendre cette décision. Et nous la soutiendrons, quoiqu'elle décide. Écoutons ce que Fadime a à dire et nous aviserons après. Si tu préfères ne pas venir, je peux y aller avec Aara.
— Je n'ai pas confiance en Fadime. Je vous accompagnerai. J'essaierai de me contrôler et de ne pas lui briser la nuque.
— Admirable. De toute façon, il ne s'agit que de savoir de quoi tout cela retourne. Nous pouvons nous en aller à tout moment.
— Et comment. » Tout cela avait agacé Tess. Le souvenir de ses horribles péripéties avec Amir et Fadime lui assaillit la mémoire. Elle n'en avait pas besoin.
Peu après, Tess se mit au lit avec un mal de tête, espérant que ses fréquents cauchemars ne reviendraient pas. Jake resta éveillé à attendre le retour d'Aara pour l'informer des dernières nouvelles. La jeune fille était fatiguée et montra peu d'intérêt. Elle fit part à Jake de sa journée à Julliard puis elle alla se coucher.
4. Âmes-Sœurs
Par une belle journée d'été à Buenos Aires, Laurent Belcour discutait au téléphone avec Bertrand Dubois, son associé, de la performance financière des diverses maisons de joie et autres services d'escorte qu'il dirigeait de par le monde. Il apprit aussi une mauvaise nouvelle : Isidore Khujadze, avait essayé de vendre de la matière nucléaire à des agents de la CIA qui s'étaient fait passer pour des acheteurs, au lieu de la livrer aux gens de Dubois. C'était ennuyeux et frustrant. Par le passé, Belcour n'avait pas réussi à faire déployer par Daesh une arme nucléaire qu'il avait sortie clandestinement de la Corée du Nord. Sa stratégie avait été de faire détonner une bombe quelque part en Europe pour pousser les Européens et les Américains à augmenter leurs dépenses en armement, ce qui aurait fait le bonheur d'importants fabricants d'armes, portefeuilles dans lesquels il avait considérablement investi. Le chaos et la dévastation qui en auraient résulté étaient le dernier de ses soucis. Tout ce qu'il voulait, c'était d'en tirer profit et de se venger de la France, son pays natal, de l’avoir traîné devant les tribunaux pour avoir encouragé la prostitution.
La porte d'entrée s'ouvrit et Fadime l'appela.
« Je dois y aller, » dit Laurent en éteignant son téléphone.
Fadime al-Saadi entra dans son studio puis alla vers la bibliothèque pour éteindre la chaîne stéréo qui jouait de la musique classique douce. Laurent se retourna et posa ses yeux sur l'objet actuel de son affection. À la vue de son visage, il savait qu'elle était en contrariée.
« Qu'est-ce qu'il y a, ma chérie ? Que puis-je faire pour te remonter le moral ?
— Rien, par contre tu peux te préparer pour un voyage. Nous partons pour New York rencontrer mes avocats. Ils veulent discuter du testament de mon frère Amir.
— Voilà qui est étrange. N'as-tu pas hérité de tous les biens d'Amir à sa mort?
— Non, j'ai continué à toucher mon allocation, comme d'habitude. Pour une raison que j'ignore, la plupart de ses biens ont été placés en fidéicommis. Il y a une disposition selon laquelle le contenu du testament ne serait révélé qu'à une certaine date. D'après les commissaires, le moment est venu de divulguer les dispositions du testament.
— Pourquoi maintenant ? C'est inhabituel.
— Avec Amir, tout est inhabituel. Ce que je peux supposer, c'est qu'il ait légué quelque chose à sa fille Aara quand cette dernière aura atteint un certain âge. Avec un peu de chance, je vais pouvoir enfin disposer des quelques propriétés en Europe. »
Laurent se leva et l'embrassa sur le front.
« Je serais heureux de t'accompagner, mon amour.
— Retiens tes affections, Laurent. Nous nous envolons ce soir. J'ai déjà demandé à mon personnel de préparer mon appartement à Manhattan.
— Voilà qui ressemble à un excellent plan d'évasion. Je commençais à m'ennuyer.
— Je suis sûre que tu peux trouver de quoi te divertir. Fais tes bagages.
— Tes désirs sont des ordres, ma chérie » dit-il en plongeant le nez vers sa poitrine récemment augmentée. Les chirurgiens esthétiques argentins étaient les meilleurs.
Fadime esquiva l'étreinte et se dirigea vers la porte.
« Je dois récupérer quelques affaires pour le voyage. Je serai de retour dans une heure ou deux. Je suggère de manger quelque chose avant d’embarquer. Je déteste la nourriture d'avion. »
Laurent était retourné à ses écrans d'ordinateur qui affichaient un résumé de ses investissements. Il pensait aussi à son ennemie jurée — Tess. Il était persuadé qu'elle et Jake avaient quelque chose à voir avec ce matériel nucléaire saisi à Kobuleti. Ils arrivaient toujours à déjouer ses complots. Un jour, il aurait sa vengeance.
5. Bulletin de Notes
À Julliard, Tess et Jake entrèrent dans une petite salle de réunion pour y rencontrer Sofiya Mazur, la professeure principale d'Aara, célèbre professeure de piano ukrainienne de l'Académie Nationale de Musique d'Ukraine. C'était une amie qui leur était chère et elle était aussi la prof de Tess. Tess avait eu recours à l'influence de son père qui avait accordé une dotation importante à Julliard pour faire venir Sofiya à New York comme membre distingué de la faculté.
Après des salutations chaleureuses, Sofiya passa aux choses sérieuses.
« Tess, comme vous me l'avez demandé, j'ai guidé la progression de votre belle-fille Aara. Après quelques problèmes initiaux, elle a fait de grands progrès. Elle a une grande mémoire et elle apprend de nouveaux morceaux vite. Sa force est sa sensibilité. Elle adore Chopin et, comme ce compositeur, elle sait décliner un éventail infini d'émotions, ce qui est signe d'une délicatesse merveilleuse. Sa dextérité est excellente et elle maîtrisera tous les niveaux de difficultés au clavier très bientôt. »
Tess sourit.
« Il y a un mais.
— Vous m'avez dit qu'Aara envisageait de devenir pianiste de concert professionnelle. Cela requiert un répertoire varié et la capacité d'interpréter de nombreux compositeurs. Aara est timide et elle est réticente à s'attaquer à de la musique plus enjouée telle que celle de Brahms ou de Liszt. Ce n'est pas une question de compétence ni de capacité. C'est juste qu'il va falloir qu'elle s'y mette si elle veut devenir artiste. De plus, elle est anxieuse quand elle doit jouer devant un public. Elle s'en sort bien quand elle fait partie d'un ensemble mais son rôle au piano exige souvent qu'elle fasse des solos. Elle hésite à prendre les devants et il va falloir travailler dessus. L'année prochaine, elle devra donner des concertos pour piano avec orchestre et il faut qu'elle développe plus de maturité et de confiance. J'ai pensé que vous pourriez être une bonne influence pendant les vacances scolaires. Vous-même jouez des morceaux difficiles avec bravoure et intrépidité. Peut-être, pourriez-vous travailler avec Aara pendant ces vacances. Encore une fois, j'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une question de capacité mais d'affinité avec certains styles de musique. »
Tess réfléchit quelque temps.
« Bien, pourquoi pas. Je vais voir avec Aara quels morceaux nous pourrons travailler ensemble. Elle devrait être prête pour le prochain semestre.
— Excellent. Tenez-moi au courant si vous avez des questions. »
En se dirigeant vers la sortie, Jake fit part de ses doutes.
« Tess, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée qu'Aara s'entraîne avec toi. Quand il s'agit de musique, vous êtes à l'opposé l'une de l'autre. Tu dois t'assurer de la mener en douceur et non de la diriger comme un soldat. Elle est très sensible et pourra ne pas bien prendre que tu lui dises comment jouer.
— J'en suis consciente, Jake. Je dois juste y aller doucement et l'encourager à jouer des morceaux auxquels elle s'intéresse un peu moins. »
Jake n'était toujours pas certain que Tess sache s'en tenir au plan, mais il savait que ce n'était pas le bon moment pour en parler. Il héla un taxi.
6. Argent et Petits Caractères
Laurent et Fadime atterrirent à l'aéroport de JFK à New York et passèrent les formalités de douane. Leurs bagages avaient déjà été récupérés par des porteurs orchestrés par le chauffeur de limousine, portant une pancarte au nom de Fadime. Ils montèrent en voiture. Le chauffeur se fraya adroitement un chemin à travers la circulation et, bientôt, il déposa ses passagers devant un élégant appartement au sud de Central Park. Le lendemain, peu après le petit déjeuner, Fadime partit rencontrer ses avocats. Laurent avait des réunions de son côté.
Quand Fadime revint en milieu de journée, Laurent l'emmena déjeuner dans un restaurant chic sur Spring Street dans le West Village. En attendant leurs plats, il lui demanda comment s'était déroulée sa rencontre au bureau de ses avocats. Fadime était contrariée et n'aborda le sujet qu'après avoir pris un Martini sec.
« Je ne peux pas le croire, commença-t-elle. Amir a laissé toute sa fortune à Aara quand elle aura atteint son dix-huitième anniversaire. Tout, l'argent, les maisons, les investissements. Il ne m'a même pas nommée exécuteur testamentaire.
— Mais sûrement, tu ne manques pas d'argent, souligna Laurent, essayant de calmer sa colère.
— Il m'a laissé une rente confortable mais apparemment il ne me faisait pas assez confiance pour gérer le reste de ses actifs. J'aurais pu avoir quelque influence sur Aara si j'étais sa tutrice mais j'ai fait l'erreur de laisser Tess et Jake l'adopter. Et maintenant, ils sont à même de contrôler cet argent. »
Laurent feuilleta les documents que Fadime avait apportés avec elle.
« Ce testament a l'air tout à fait inattaquable. Il établit clairement que la totalité de la fortune ira à Aara quand elle aura dix-huit ans. »
Fadime demanda un autre Martini.
« C'est scandaleux. Si j'avais connu les intentions d'Amir, je n'aurais pas laissé Aara partir.
— Pourquoi avais-tu laissé Tess et Jake adopter Aara ?
— Je n'aime pas être entourée d'enfants. Je n'ai pas la fibre maternelle. Je m'étais momentanément occupée d'Aara et du petit Morgan, le fils de Tess et d'Amir, après qu'Amir les ait récupérés. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour prendre soin d'eux mais l'expérience ne m'avait pas plu. À la mort d'Amir, je ne voulais surtout pas m'encombrer d'un enfant à élever. Aara avait quatre ans à l'époque. Tess, de son côté, voulait vraiment cette enfant. J'avais donc pris des dispositions pour qu'elle et Jake puissent l'adopter.
— Et te voilà écartée, on dirait bien. Il aurait fallu plus de réflexion avant d'avoir laissé cette enfant partir.
— Ce n'est pas de tes reproches dont j'ai besoin, Laurent. Mais de ton aide.
— Mais bien sûr que je t'aiderai, ma chère. Laisse-moi prendre connaissance de ce document en détail pour voir s'il existe un moyen de contourner ces dispositions. »
Leur repas fut servi. Fadime goûta à quelques huîtres merveilleusement fraîches ainsi qu'à une queue de homard. Laurent avait commandé la même chose et Fadime fut agacée qu'il appréciât son repas comme s'il n'avait pas le moindre souci au monde. Mais en fait, son cerveau, une vraie machine financière, tournait déjà à plein régime. Il continuait de lire tout en mangeant puis il émit un « Aha ! »
— Tu as trouvé quelque chose ? demanda Fadime en repoussant son assiette sur le côté.
— Il y a une ombre au tableau, déclara Laurent. Je crois que je peux faire quelque chose.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Il y a une disposition importante ici. Il est dit que pour qu'Aara touche l'héritage, elle doit se marier dans l'une des trois familles éminentes qui se sont historiquement alliées avec les al-Saadi.
— Et ? Cela ne regarde qu'Aara. Comment est-ce à mon avantage ?
— Ce sont des familles musulmanes et tout ça sent le bon vieux mariage arrangé. Et moi, je connais Tess, et je suis prêt à parier qu'elle a élevé cette enfant dans un environnement laïque. À l'heure qu'il est, Aara doit être complètement occidentalisée. Je ne vois pas comment Tess peut la laisser retourner vivre dans une société musulmane. Et si Tess arrive à convaincre Aara de laisser tomber l'héritage à cause de cette clause inacceptable, voilà la chance que la situation soit à ton avantage. En tant que seul autre parent vivant d'Amir, il va de soi que tu deviennes l'héritier suppléant si les choses ne suivent pas leur cours.
— Tu présupposes qu'Aara ne voudra pas se marier et donc renoncera à l'héritage. Nous ne pouvons en être certains.
— Cela dépendra du montant de l'argent en jeu et s'il existe quelque intérêt à ce qu'elle accepte. J'ai assez traité avec Tess pour avoir une raison de penser qu'il existe là une opportunité pour nous.
— Qu'entends-tu par "nous" ?
— Je pourrais accepter d'offrir mon assistance et résoudre ton problème, à condition que j'en tire quelque chose.
— Tu es un être avide et odieux, Laurent. C'est par amour que tu devrais m'aider.
— Ne perdons pas la tête, ma chère. Je t'apprécie beaucoup mais je n'appellerais pas ce que nous partageons "amour". Nous nous apprécions l'un l'autre, et c'est très bien comme ça.
— Je continue de penser que tu es odieux mais ce n'est pas comme si j'avais le choix, dit Fadime en faisant la moue.
— On passe au dessert ? »
7. Qu'Elle Paie
Au Carnegie Hall à New York, Tess jouait au piano les dernières notes de la Sonate Tragique de MacDowell, expression d'un sombre et mélancolique chagrin. Tout en accélérant vers le point culminant de l'œuvre, ses doigts frappaient les notes graves du clavier comme s'il s'agissait d'une enclume. Quand l'interprétation prit fin, Tess se leva pour recevoir les applaudissements du public puis, répondant à son rappel, elle retourna s'asseoir pour entamer la Toccata de Prokofiev. La Toccata, d'une durée d'à peine quatre minutes, était l'un des morceaux favoris de Tess, principalement parce qu'elle ne pouvait résister au défi de maîtriser ce morceau particulièrement difficile. Elle s'y plongea, entamant un ré répété et persistant qu'elle jouait de la main droite, et à qui la main gauche faisait écho une octave plus bas. Après un court développement, elle continua par des envolées chromatiques de la main gauche pendant que la droite jouait une figuration en boucle. Vers la fin, Tess martela une suite rapide de notes qui avait un rien de diabolique. Le public s'emporta et se mit à applaudir à tout rompre.
Dans l'un des box privés, deux de ses vieux ennemis l'écoutaient avec fascination. La férocité avec laquelle Tess jouait, caractéristique de son tempérament, ou du moins dans le souvenir de leurs échanges passés, émerveillait Laurent Belcour. Fadime lui ficha un coup de coude dans les côtes.
« On dirait que tu es encore sous le charme de cette horrible femme, siffla-t-elle. C'est incroyable que tu aies réussi à me convaincre de venir la voir jouer. Ce n'est pas une femme, c'est un ouragan. Ça ne lui suffit pas de marteler les touches, elle est en train de démolir ce piano.
— Du calme, Fadime. Tess joue fougueusement parce le morceau l'exige. Les gens ne viennent pas à ses concerts pour de la musique douce et subtile. Ils viennent pour la passion et elle en donne.
— La dernière fois que je l'ai vue, ça m'a laissé un très mauvais souvenir. Elle est violente et vengeresse. Elle m'a jeté à travers la pièce et m'a cassé le bras.
— Ce que tu oublies de mentionner, c'est qu'Amir avait kidnappé son enfant et que tu avais tenté de diffuser une sex tape de Tess et d'Amir sur internet. Tu pensais vraiment qu'elle allait laisser passer ?
— Peu importe, dit Fadime avec dédain. Alors, pourquoi sommes-nous venus ? Ne me dis pas que c'est juste par désir.
— J'ai toujours désiré de belles femmes, ma chère. Mais en ce qui la concerne, j'ai une vieille affaire à régler, tout comme toi. Elle m'a presque ruiné et il faut qu'elle paie.
— Tu ferais mieux de te consacrer à moi et oublier ton envie de la faire tomber. Elle peut être monstrueuse et tu le sais.
— Fadime, nous avons là notre chance de traiter à nouveau avec Tess, mais cette fois à nos conditions. Tout à fait par inadvertance, ton frère a créé les conditions qui vont nous permettre de lui porter un coup de maître. Tout ce que tu as à faire, c'est d'être celle sur qui cette histoire d'héritage retombera. Moi, je travaillerai en coulisse pour organiser sa chute.
— Partons, mon amour. J'ai besoin de réfléchir à tout ça. »
Ils se rendirent dans le hall d'entrée de la salle de spectacle puis prirent un taxi pour leur appartement.
8. Guerrières au Cœur Tendre
Tess quitta la salle de concert et se rendit dans le Salon Vert signer des autographes pour ses admirateurs. Susan Blake, une critique musicale impitoyable, fut la dernière personne qu'elle rencontra. Ses articles dénigraient systématiquement les choix de répertoire de Tess, si ce n'était la qualité de sa performance.
« Je suppose que vous êtes là pour exprimer votre mépris, Madame Blake, dit Tess. Et que vous n'avez rien de positif à déclarer.
— Madame Turner, je fais de mon mieux pour être une critique juste. Peut-être pourriez-vous m'accorder une brève interview ?
— Puisque votre article est probablement déjà rédigé, je ne vois pas l'utilité de gaspiller ni mon temps, ni le vôtre, répondit Tess sur un loin d'être cordial.
— Mais peut-être qu'en discutant un peu, nous pourrions en apprendre plus l'une sur l'autre, » dit Susan avec un sourire.
Jake entra dans le salon.
« Désolé, Tess. Je te croyais seule.
— Jake, je t'en prie, assieds-toi. Je prenais congé de Madame Blake. »
Jake tendit la main.
« Heureux de vous rencontrer, Madame Blake. Je suis surpris de vous voir ici. Que pouvons-nous faire pour vous ? »
Susan posa son regard sur ce très bel homme vêtu d'un smoking parfaitement taillé, lui serra la main et sourit.
« J'espérais faire une interview de votre femme, Monsieur Vickers. Mais elle ne semble pas intéressée.
— Madame Blake, implacablement vous passez votre temps à critiquer le jeu de Tess. Je me demande un peu à quoi vous vous attendiez. »
Tess regarda Jake d'un air désapprobateur.
« Je peux prendre mes propres décisions, Jake. »
Puis, elle se tourna vers Susan et s'adossa dans le canapé.
« J'accepte de vous parler mais j'aimerais savoir ce que vous cherchez. Quelque ragot ?
— J'aime penser que je suis ouverte d'esprit, Madame Turner.
— Si nous devons discuter, alors appelez-moi Tess.
— Bien, Tess. Appelez-moi Susan. Pouvez-vous m'accorder une demi-heure de votre temps ? On peut s'arrêter à tout moment si vous vous sentez mal à l'aise.»
Tess regarda Jake.
« J'aimerais que Jake reste. Il a une mémoire photographique et n'oublie absolument rien qui soit dit en sa présence. Il sera ma police d'assurance. Ça vous va ? »
Susan n'en fut pas intimidée. « C'est toujours avec plaisir d'être en présence d'un bel homme, dit-elle avec un sourire étincelant en direction de Jake. Comme je le disais, je fais de mon mieux pour être juste. On commence, si vous êtes prêts ?
— Allons-y.
— Je ne suis pas la seule critique qui écrive sur vos performances, Tess. Pour vous dire franchement, nous croyions tous que vous et votre Ensemble Valkyries n'étiez qu'un coup monté, un feu de paille. Mais après maintenant trois ans, vous êtes toujours là et vous gagnez même en réputation et en public. Ce qui m'a amenée à croire qu'il devait y avoir plus que ça là-dessous. Est-ce vrai que les bénéfices de vos concerts sont reversés à des organismes de charité ? »
Tess observa une pause ; elle voulait formuler une réponse appropriée.
« Jake, mon père et moi-même avons créé la Fondation Valkyries dont le but est de financer des organisations non gouvernementales luttant contre la traite des personnes. Tous les bénéfices de mes récitals et de la musique de chambre que nous jouons ensemble sont destinés à la fondation. Mon père, qui est PDG de NTC, une entreprise de fabrication d'équipement militaire, lève également des fonds auprès d'entreprises commerciales qui œuvrent également dans le domaine de la défense. Ils ont versé de grosses contributions, sans doute pour expier les péchés de leurs profits commerciaux.
— Je crois savoir que SRD, votre compagnie, est une organisation militaire, avec des mercenaires travaillant pour le gouvernement en livraison d'armes dans le monde entier. Comment conciliez-vous votre travail avec la musique ?
— Nous employons des gens hautement qualifiés pour livrer des appareils et des systèmes d'armement aux armées de pays étrangers que notre gouvernement appuie. Nous formons également des pilotes et parfois nous participons à des opérations militaires. Nous avons combattu Boko Haram au Nigeria ainsi que des trafiquants au Mexique. Nos activités musicales n'ont rien à voir avec nos activités régulières. En fait quand nous jouons de la musique, nous offrons notre temps et nos efforts pour contribuer à lutter contre le traite des êtres humains.
— Il me semble que vos activités militaires jouent sur le choix de musique que vous jouez. Il est évident que les listes que vous élaborez met le répertoire standard de côté et que vous privilégiez la musique spectaculaire, les œuvres sombres et profondes.
— Notre travail ne consiste pas à imiter ce que d'autres artistes font déjà très bien. Nous jouons de la musique qui exprime la douleur, la colère et parfois la violence qui caractérisent ce problème déchirant qu'est la traite des personnes. Nous voulons divertir les gens mais nous voulons aussi faire appel à leurs émotions et jouer pour eux la meilleure musique que nous sachions produire. Nous voulons que les gens prennent plus part à la lutte contre la traite des êtres humains ; les autorités ne font que parler du problème et préfèrent allouer leurs ressources à la guerre et à des projets stupides comme des murs à la frontière.
— On m'a dit que vous êtes plutôt franche et n'avez que faire de la correction politique, nota Susan. Quelque conflit inhérent ? D'une part, vous traitez en équipement militaire, si ce n'est en interventions parfois létales. Et d'autre part, vous jouez de la musique pour venir en aide aux opprimés. Vous ne trouvez pas cela plutôt ironique ?
— Non, nos projets militaires bénéficient à des nations qui sont en difficulté et qui ont besoin d'assistance. Nous n'avons jamais travaillé pour des dictateurs ni des tyrans. Notre musique contribue à financer nos efforts dans la lutte contre la traite.
— Et ? Ça marche ? » Susan avait l'air sceptique.
Tess fut franche.
« Pas aussi bien que nous le voudrions mais ce n'est pas une raison pour arrêter. Quoi qu'il en soit, voici notre motivation : si nous parvenons à épargner ne serait-ce qu'une personne de ce trafic, alors nos efforts auront valu cette peine. Ce qui ne veut pas dire que nous avons réglé l'ensemble du problème. Nous essayons de faire de notre mieux pour que la société, qui a condamné des milliers de gens à la misère, la dégradation et le désespoir pour les avoir laissées tomber, prenne conscience et agisse.
— Pour en revenir à la musique, vous n'envisagez pas de proposer de récitals plus traditionnels ? Si vous teniez à être réellement reconnues en tant qu'artistes, ne devriez-vous pas vous frotter contre ces artistes déjà reconnus ?
— Non, nos objectifs sont différents. Nous ne jouons pas que pour faire de la musique mais nous offrons avec nos tripes une musique puissante et émouvante et dans un but bien particulier. Notre public le sait. Les gens qui n'apprécient ni Chostakovitch ni Bloch sont libres d'écouter quelqu'un d'autre jouer Schubert. Par ailleurs, nous proposons les Soirées de Tango et elles sont très populaires. L'un de nos collègues, un Argentin, nous accompagne au bandonéon, une sorte de petit accordéon. Nous faisons souvent appel à des danseurs argentins pour ces soirées, tout n'est pas que ténèbre et miséricorde. Le public adore.
— Cela vous importe de récolter de bonnes critiques ?
— Honnêtement, pas du tout. Je préfère me fier au bouche à oreille. Je voudrais que nos représentations soient vues et ressenties par les émotions exprimées de façon si exquise par de grands compositeurs parfois tombés dans l'oubli. Nous offrons au public de la beauté, mais aussi de la colère, de la détresse ou du chagrin, cela touche leur sensibilité. Jusqu'à présent, nous nous en sortons plutôt bien. Le nombre de spectateurs augmente, ainsi que le montant des dons. Il se peut que notre message soit entendu.
— On dit que vous êtes une interprète intrépide et que vous aimez les compositions complexes et spectaculaires. Avez-vous songé à jouer de la musique plus apaisante, contemplative ?
— Oui, je le fais parfois, mais ce n'est pas ce que notre public vient chercher chez nous. Mon répertoire est un reflet de ma personnalité. Je suis active et je m'emporte vite mais je me soucie profondément des choses. »
Susan regarda Jake.
« Je suppose que c'est votre lot quotidien. »
Jake se leva, passa derrière Tess et lui posa les mains sur les épaules.
« C'est ce qui m'a attiré en Tess dès le début et je ne voudrais pas qu'elle change d'un poil. »
Un pieux mensonge. Vivre avec un perfectionniste compliqué, talentueux, implacable, obsessionnel et impétueux l'a souvent mis à l'épreuve. Mais d'un autre côté, Tess avait grand cœur pour ses proches et ferait tout pour les protéger. Elle était passionnée par la lutte contre la traite des êtres humains et avait même essayé de résoudre la crise des réfugiés en Europe. Jake était son indispensable point d'ancrage, le raisonnable compagnon dont elle avait besoin. Avec l'impulsivité de Tess, il avait fort à faire pour empêcher qu'elle et l'équipe ne se mettent en difficulté. Jake avait sa propre faiblesse : il était fou amoureux d'elle et était prêt à lui offrir tout son soutien même quand elle faisait sortir tout le monde de ses gonds, lui y compris.
Tess posa sa main sur celle de Jake.
« Susan, je pense que nous en avons fini. Bonne soirée. »
En chemin, Jake sentait que Tess était perturbée.
« Ne laisse pas cette journaliste t'atteindre, Tess. Sans critique, pas de succès.»
Tess sourit.
« C'est de quel philosophe ça ?
— Je l'ai lu dans un fortune cookie chinois. Non en fait, c'est de MalcolmX.»
Le matin suivant, Susan publia son article:
« Les Valkyries, des guerrières au cœur tendre. »
9. Le Piège
À New York, Jake, Tess et Aara entrèrent dans une salle de conférence décorée avec goût dans les bureaux d'un prestigieux cabinet d'avocats. L'avocat les invita à prendre place dans de confortables chaises en cuir autour d'une longue table. Fadime al-Saadi fit une entrée remarquée, vêtue de haute couture, arborant son habituelle allure splendide agrémentée d'un décolleté impressionnant. Elle jeta son foulard Hermès sur l'une des chaises, se glissa sur celle à coté de l'avocat et sourit.
« Comme tu as grandi, Aara. Tu es devenue une très jolie jeune fille. »
Fadime et Aara avaient en commun la même chevelure noire de jais, de grands yeux mystérieux, des lèvres généreuses et un teint crémeux. Leur ressemblance sautait aux yeux.
Tess lança vers son adversaire un regard meurtrier. Fadime mit un point d'honneur à l'ignorer, se fendit d'un large sourire et fit un signe de la tête à Paul Mitchell, l'avocat, qui entama la réunion.
« Bienvenue à tous. Cette réunion a pour but d'informer Mademoiselle Aara Vickers, née al-Saadi, que son défunt père, le général Amir Alkan al-Saadi, a pris des dispositions pour qu'Aara reçoive un héritage substantiel à ses dix-huit ans. L'héritage comprend un montant important d'argent de titres, ainsi que trois propriétés à Istanbul, à Villefranche en France et à Guildford au Royaume-Uni. Le général Amir a également pris des dispositions financières pour entretenir ces résidences, à condition qu'elles soient également à la disposition de Madame Fadime. »
Tess jeta un coup d'œil à Fadime, qui avait l'air moins qu'intéressée et qui semblait préférer l'inspection de ses mains manucurées au ton monocorde de l'avocat.
« Super, dit Tess. Occupons-nous de faire transférer l'argent sur le compte d'Aara et c'en sera fini.
— Je crains que la situation ne soit un peu plus compliquée que cela, dit l'avocat. Le testament comporte des conditions. »
Tess sentit la moutarde lui monter au nez.
« Cette affaire ayant à voir avec Amir, je me doute qu'il doit y avoir un piège là-dessous. Je vous en prie, poursuivez. »
Sous la table, Jake saisit la main de Tess dans une tentative de lui faire garder son sang-froid.
L'avocat reprit.
« Les conditions sont assez simples. L'héritage exige d'Aara qu'elle se marie à une famille musulmane influente. Le général souhaitait renforcer les liens avec une dynastie qui fut historiquement alliée à la sienne.
— Il est évident que ce testament a été rédigé quand Aara était sous la garde de Fadime, intervint Tess. Fadime a volontairement renoncé à la garde de cette enfant et nous a demandé de l'adopter, ce que nous avons fait. Depuis, Aara vit en Amérique et elle étudie aujourd'hui à la Julliard School of Music. Elle est citoyenne américaine et sous aucune circonstance ne se laissera-t-elle imposer les pratiques culturelles musulmanes, et encore moins épousera-t-elle quelqu'un qu'elle n'a jamais rencontré. »
Tess regarda Aara qui semblait contrariée. Elle lui prit la main pour la réconforter.
L'avocat poursuivit.
« Je crains que tout cela ne change rien à la condition première de l'héritage, qui est simple. Si Mademoiselle Aara veut bénéficier de l'héritage, elle doit épouser un Iranien du nom de Karin Nazari. Si, pour une raison quelconque, il ne convient pas, des suppléants seront proposés par Madame Fadime.
— Et qui diable est Karin Nazari ? » Tess avait pratiquement grimpé sur la table.
— Il est le fils de Daryush Nazari, l'un des hommes les plus riches d'Iran.
— Il n'y a aucune chance qu'Aara porte le hijab et se soumette à un homme qui lui dira quoi faire. Elle vit maintenant au XXIe siècle et non au Moyen Âge. »
Fadime observa une pause dans l'inspection de sa manucure.
« Tess, vous exagérez. Je suis musulmane et je suis un style de vie occidental tout à fait agréable.
— Mais pour préserver votre indépendance, vous ne vous êtes jamais mariée. Vous, mieux que quiconque ici, savez ce que cela veut dire. Je me fiche de combien d'argent il s'agit. Aara n'en a pas besoin et elle ne retournera certainement pas à une culture qui lui est désormais étrangère.»
L'avocat se pencha et ouvrit un porte-document en cuir.
« Vous n'avez sans doute pas idée de l'importance de l'héritage. Il s'élève à 500 millions de dollars, environ. »
Tess et Jake furent pris de court.
« Bien, il s'agit donc d'un demi-milliard de dollars, fit remarquer Jake. Que se passe-t-il si Aara refuse l'héritage ? Qui en hérite ?
— Le testament n'en fait pas mention, intervint l'avocat. Je suppose que le général al-Saadi n'avait pas envisagé la possibilité d'un refus. Je vous recommande vivement de considérer ce que cela signifie. »
Tess prit la main d'Aara. « Ma chérie, on dirait bien une décision que toi seule puisse prendre. Il s'agit de beaucoup d'argent, mais je dois te prévenir que les conditions stipulées dans le testament auront un impact important sur tes projets et sur la façon dont tu vas vivre ta vie. Tu es trop jeune pour te marier, encore moins avec un Iranien, et tu dois penser à tes études. »
Aara était visiblement en détresse et se tordait les mains.
« Je ne sais pas quoi faire, maman. Je suis très bien là où je suis. Je me sens pas prête à faire face à ça. »
Jake se leva de la chaise et passa son bras autour des épaules d'Aara.
« Monsieur Mitchell, vous ne pouvez décemment pas vous attendre à ce qu'une enfant décide d'une telle affaire aujourd'hui. Nous reprendrons contact.
— Très bien, Monsieur Vickers, mais je dois vous informer que le testament exige des signatures dans les soixante jours suivant l'anniversaire de Mademoiselle Aara. Et le mariage doit avoir lieu au plus tard dans les douze mois qui suivent. Le cas échéant, elle perd son héritage. »
Tess saisit son sac à main, attrapa Aara par la main et se dirigea vers la porte.
« Encore une chose, dit l'avocat. Il se trouve que la famille Nazari est dans le New Jersey en ce moment. Peut-être pourriez-vous envisager une rencontre préliminaire ? Sans aucune obligation, bien entendu.
— Nous devons y réfléchir, dit Tess en poussant gentiment Aara vers la porte. Passez une bonne journée. »
Jake salua l'avocat de la tête et suivit sa famille.
10. Travail Inachevé
Après un agréable dîner dans un restaurant français, Laurent glissa sa carte sur la serrure électronique de l'appartement de Fadime à New York. Fadime le précéda dans la suite luxueuse et prit le chemin de la chambre en laissant tomber ses vêtements par terre. Elle repoussa les couvertures, s'allongea sur le lit, ouvrit le tiroir de la table de nuit d'où elle extirpa un grand vibromasseur couronné de’ ce qui ressemblait à un bouton de porte. Elle ê alluma l'appareil et commença à stimuler son sexe. Bientôt, elle gémit de plaisir.
« Ne reste pas là, ordonna-t-elle entre deux soupirs. Déshabille-toi et rejoins-moi. »
Laurent accrocha soigneusement sa veste à une chaise et enleva sa cravate, tout en se délectant du spectacle de cette belle femme qui se donnait du plaisir sur le lit.
« On dirait que tu t'en sors très bien, mon amour. Tu n'as peut-être pas besoin d'un homme ce soir. Tu sembles ne pas avoir besoin de moi. »
Comme des vagues de plaisir la submergeaient, Fadime continuait de gémir.
« Tais-toi et viens au lit. Ooh ! » Elle n'arrêtait pas de se cambrer, savourant les sensations que lui procuraient son vibromasseur.
« Je ne comprends pas pourquoi tu continues ainsi, Fadime. Tu sais que je suis un amant habile.
— Tais-toi et viens près de moi. Embrasse mes seins. »
Laurent finit de se déshabiller et, avec obligeance, fit rouler sa langue autour des aréoles des seins de Fadime.
« Hmmm, c'est délicieux, dit-il.
— Ooh... Ooh, » faisait Fadime dans un autre gémissement.
Laurent enserra ses seins entre ses mains tout en continuant de les lécher. Après un dernier soupir, Fadime était prête. Elle écarta les jambes, l'intimant à explorer son centre palpitant de sa bouche. Laurent obtempéra, usant habilement de sa langue pour l'exciter davantage. Les gémissements de Fadime s'accentuèrent, les attouchements de Laurent faisait apparemment effet. Elle explosa dans un orgasme intense.
« Viens en moi maintenant, » lui ordonna-t-elle.
Laurent lui fit ce plaisir et l'envahit de son membre, suscitant davantage de soupirs de plaisir de sa partenaire. Il imprima un mouvement tout dévorant sa bouche grande ouverte de baisers jusqu'à ce qu'il sentit qu'elle était pour prête pour de bon. Il écarta ses jambes plus grand et plongea profondément en elle, ce qui la fit crier de plaisir. Il maintint ses poussées, s'aidant des réactions qu'il provoquait en elle, jusqu'à ce qu'elle finisse par s'effondrer, satisfaite. Ils restèrent entrelacés de longs moments puis Laurent finit par rouler sur le dos.
« Je dois dire que tu es la plus étrange des femmes multi-orgasmiques musulmanes que je connaisse.
— Est-ce une critique ? dit Fadime, agacée qu'il ait mit fin à sa torpeur post-coïtale par ses remarques superflues.
— Pas du tout. Tu es tout à fait délicieuse, et comme aucune autre femme que j'aie eue.
— J'aime les hommes. Ils me donnent du plaisir, du moins jusqu'à ce que je m'en lasse.
— J'imagine que tu finiras par me larguer pour un nouveau spécimen.
— Laurent, mon amour, tu es chou. Tu es un bon amant mais je n'ai aucune illusion non plus, tu ne resteras pas avec moi. Dans tous les cas, je ne t'empêche pas de t'amuser avec tes maîtresses et autres prostituées. Profitons l'un de l'autre pendant qu'on le peut et gardons les complications à leur minimum.
— Voilà qui est parlé comme un hédoniste. »
Laurent se leva et se dirigea vers le seau à glace où une bouteille de champagne reposait au frais. Il versa deux verres et revint vers le lit.
« Comment as-tu fait pour éviter un mariage arrangé ? N'est-ce pas la coutume dans les grandes familles musulmanes ?
— Mes parents sont morts jeunes et c'est mon frère Amir qui m'a élevée. Il a essayé de me préparer au mariage mais j'ai vite compris qu'un mari musulman était la dernière chose dont j'avais besoin. Amir m'avait envoyé à l'école en Suisse et je suis rarement retournée en Irak ou à Istanbul où nous résidions. Quand j'ai refusé plusieurs offres de mariage, il avait menacé de me couper les vivres, mais je savais qu'il m'aimait et qu'il s'occuperait de moi, quoiqu'il arrive. Alors, je suis restée en Europe et j'ai commencé à vivre. Je ne pourrais pas supporter le mode de vie musulman. Et Amir lui-même était loin d'être chaste. C'était un amant talentueux, je l'ai souvent espionné lorsqu'il satisfaisait une foule de femmes toutes reconnaissantes. Il avait fait installer un équipement sophistiqué pour enregistrer ses prouesses érotiques sur vidéo. Moi, je le regardais leur faire l'amour. J'avais souvent rêvé d'être avec lui mais c'était hors de question, bien sûr. Alors, j'ai pris des amants et depuis, pas un regard en arrière. »
Laurent arrêta de jouer avec les seins de Fadime. « J'admire ton honnêteté et le fait que tu vis ta vie selon tes propres termes.
— Mon seul chagrin est qu'Amir soit mort. Il était une telle force. Il me manque. J'aurais aimé que les choses aient pris un autre tour.
— Pour ça, tu peux faire porter le chapeau à Tess. Elle l'a détruit et elle a essayé de faire la même chose avec moi.
— Oui, Tess est ton ennemie jurée. Fadime observa une pause. J'aimerais passer à autre chose mais au fond de moi j'ai tellement envie de lui faire payer. C'est sûrement ce que tu ressens aussi, non?
— En effet. Il y a beaucoup à régler entre elle et moi. Tess a détruit ma carrière, déraillé mes plans.
— Je ne sais pas grand-chose de ce qui s'est passé. Tu veux bien m'en parler ?
— J'ai fait l'erreur de l'avoir invitée avec son mari Jake à l'un de mes soirées au Cambodge. C'était une grande affaire d'envergure internationale à laquelle avaient assisté de nombreuses personnes fortunées. Quand l'orgie avait commencé, elle n'en avait pas cru ses yeux et elle est parti sur le champ avec son mari, mais pas avant d'avoir distribué des coups de pieds dans les parties de mes portiers. Je ne suis pas rancunier alors, à Paris, j'avais essayé de l'approcher en lui faisant miroiter un financement des ses projets militaires en Afrique par l'ODI, l'Organisation Internationale de Développement. J'avais aussi hâte de la séduire mais c'est une personne difficile. Elle a une fâcheuse tendance à vouloir protéger la populace de gens comme nous. Elle n'approuve pas qu'il soit tout à fait naturel que les "un pour cent" fassent du reste ce que bon leur semble. Elle a découvert mon activité annexe qui est de fournir des femmes à différents tarifs à ceux que ça intéresse et elle en a pris ombrage.
— Bon, elle n'appréciait pas tes activités. Mais pourquoi t'en a-t-elle voulu?
— Les choses ont dégénéré quand l'une de mes recrues a tenté de kidnapper sa fille à la sortie de l'école. C'était une erreur monumentale commise par deux imbéciles mais Tess n'a jamais accepté mes excuses pour cette regrettable erreur. Alors, elle a déployé son ridicule sens de la morale et s'est mis en tête de venir chercher vengeance. Je dois dire que j'ai aimé l'affronter mais Tess n'a aucun sens de l'humour et elle m'a poursuivi sans relâche. Elle a fini par convaincre le gouvernement français de me faire inculper pour prostitution organisée et traite des personnes. Mes avocats tout fait pour faire taire les ragots sur ma personne et mes associés mais le mal avait été fait et j'ai dû démissionner de l'ODI. »
Fadime posa son verre de champagne.
« Elle a tué Amir et je ne le lui pardonnerai jamais.
— De ce que je sais pourtant, elle n'a pas tué Amir. Il s'est suicidé après avoir assailli son appartement, mais pour faire quoi, je n'en ai aucune idée.
— Amir a toujours eu la tête sur les épaules mais il l'a perdue quand il est devenu obsédé par elle, surtout après qu'elle ait eu son enfant. Il voulait qu'elle et le garçon viennent vivre avec lui mais elle a obstinément refusé.
— Mais, Amir n'a-t-il pas tué le garçon ?
— C'était un accident. Mon frère avait juste essayé de tuer Jake, son mari.
— Oh, un détail mineur, alors ? railla Laurent. Il faut être honnête, cela explique la colère de Tess envers Amir.
— Je m'en moque. Tess a rendu Amir obsessivement malade, elle est responsable de sa mort. En tout cas, c'est étrange de t'entendre venir à sa défense, au vu de ce qu'elle t'a fait.
— Oh, je suis aussi enragé que toi. N'oublie pas qu'avec son équipe, elle a mis fin à mes plans de faire exploser une bombe nucléaire en Europe. Le chaos qui en aurait résulté aurait bien servi mes petites affaires.
— Mais, Laurent, tu t'es surpassé cette fois. Je ne peux pas croire que tu avais pensé pouvoir t'en tirer comme ça. Mais en tout cas, j'ai cru comprendre que Daesh t'a doublé et a vendu la bombe aux Iraniens.
— Oui, mais les Iraniens ne l'ont pas fait sauter. Jake leur a expliqué que les Israéliens seraient prêts à déployer leur armement nucléaire et l'Iran aurait été aussi rasée qu'un parking.
— Laurent, ne te soucies-tu donc pas des gens ? Ai-je raison?
— Je me fiche de ce qui advient à la populace. Tout ce que je sais, c'est que j'avais un bon plan et qu'il est parti en fumée. Et j'enrage encore. Ça fait un moment que je cherche un moyen de me venger. Je détruirai Tess et ses Valkyries, même si c'est la dernière chose que je doive faire, mais pas avant d'avoir usé d'elles, l'une après l'autre.
— Je ferais attention si j'étais toi. Il me semble que Tess t'a déjà planté un couteau dans les testicules la dernière fois que vous vous êtes vus.
— Je tiens toujours à mon tête-à-tête en privé avec elle. Et cette fois, c'est moi qui gagnerai.
— À chacun ses rêves, dit Fadime en saisissant son vibromasseur. Moi, j'ai besoin de plus de plaisir. » Elle s'allongea sur le lit et commença avec anticipation à appliquer l'instrument sur son corps. Cette fois, Laurent ne se joignit pas à elle. Fadime était occupée et lui était de mauvaise humeur. Il la lui fallait, cette revanche.
11. Les Fantômes de Palmyre
Yasmin Badawi était une Syrienne chrétienne de Tadmur, connue en Occident sous le nom de Palmyre. Elle était diplômée d'Oxford et avait un doctorat en archéologie du Moyen-Orient, parlait un anglais impeccable et avait une grande culture littéraire, poétique et musicale. C'était une femme accomplie, sophistiquée et dévouée à son métier. Elle avait déjà travaillé comme archéologue avec son oncle sur l'étude et la préservation des sites antiques syriens.
Mais quand l'État Islamique avait envahi Palmyre, son mari avait été tué et elle fut capturée et mise en esclavage. Ses ravisseurs l'avaient donnée à un combattant pour un mariage forcé. En un mois, il était mort en "martyr" au combat et le combattant qui le remplaça connut le même sort. Il en fut de même pour le troisième. Considérée dès lors comme portant la malchance, Yasmin fut utilisée comme esclave sexuelle mais elle avait résisté de tout son être, tant et si bien que Daesh avait décidé de se débarrasser d'elle en la mettant à vendre aux marché d'esclaves avec d'autres femmes et filles indésirables.
C'est dans le cadre du projet de Tess en lutte contre la traite des personnes que Nicola Orsini et George Kimmel s'étaient fait passer pour des Européens musulmans désireux de rejoindre Daesh et avaient réussi à infiltrer le groupe à Raqqa. Ils s'étaient rendus au marché d'esclaves et avaient réussi à acheter trois jeunes filles yézidies ainsi qu'Yasmin mais celle-ci leur avait donné du fil à retordre, jusqu'à ce qu'elle réalisât qu'elles avaient été achetées pour être sauvées. George et Nicola les avaient fait passer à Gaziantep en Turquie, où ils s'arrangèrent pour que leurs rescapées soient prises en charge jusqu'à ce qu'elles retrouvent leurs familles. Yasmin avait accepté d'aller à New York.
Après quelques mois, Yasmin avait demandé à intégrer SRD. Qu'elle ait été brutalisée par des gens à la mentalité médiévale l'avait ébranlée mais ne l'avait pas anéantie. Avec l'aide de Tess, de Carmen et de George, elle s'était peu à peu reconstruite et était devenue un membre précieux de l'équipe. Sa connaissance des langues et de la culture arabe était sans égale, tout comme sa passion pour l'étude et la sauvegarde des trésors des civilisations passées.
Archéologue de formation, elle n'avait pas la panoplie de compétences militaires que recherchait la compagnie, comme l'aptitude à piloter des hélicoptères et des avions, ni à se servir d'armes diverses. Néanmoins, elle avait participé à la planification des opérations en Syrie et avait finalement demandé à s'entraîner comme tireur d'élite. Quand elle était étudiante à Oxford, Yasmin avait appris à jouer de l'alto et elle intégra aussi le groupe de musique de chambre Valkyries.
Tout comme il avait rasé l'ancienne ville assyrienne de Nimrod et détruit des statues dans le musée de Mossoul en Irak, l'État Islamique s'était livré à un véritable saccage de Palmyre, pillant des objets qu'il vendai à des collectionneurs sans scrupules et détruisant tout bâtiment qu'ils considérait comme idolâtre selon sa version de la foi islamique. Les membres de Daesh avait mis en ligne des vidéos montrant les monuments et les statues datant de milliers d'années qu'ils avaient détruits. Chaque fois qu'elle voyait de telles vidéos, Yasmin assistait impuissante à l'anéantissement du travail de toute une vie. Cela l'avait mise dans une colère sans pareille.
Six mois plus tôt, Yasmin avait appris que Daesh avait crucifié son oncle, chef archéologue de Palmyre. C'est le cœur brisé et assoiffée de vengeance qu'elle était retournée en Syrie où elle avait rejoint une unité de combattantes kurdes et qu'elle s'était portée volontaire pour accompagner Eva Bar-Lev, ancienne agent du Mossad, en mission secrète à Raqqa. L'objectif avait été de localiser des armes nucléaires nord-coréenne que Laurent Belcour et Daesh projetaient de faire exploser quelque part en Europe. Yasmin et Eva avaient identifié l'endroit où les bombes étaient stockées mais elles avaient été découvertes. Si Eva avait réussi à s'échapper, les djihadistes avaient capturé Yasmin. Daesh avait voulu qu'elle serve d'exemple et avait projeté de l'immoler dans une cage, tout comme ils l'avaient fait à un pilote jordanien et ami d'Efsan, une combattante kurde.
Tess et son équipe avaient lancé une opération de sauvetage et combattirent Daesh à bord d'appareils d'attaque au sol Warthog A-10 et, avec l'assistance des Forces Spéciales américaines, ils purent sauver Yasmin de justesse. Depuis, l'aversion d'Yasmin pour Daesh n'avait qu'empiré ; sa rage et son besoin de vengeance avaient atteint un degré pathologique. Elle s'était mise en couple avec George mais même à ce dernier, elle avait dissimulé son intention d'aller se venger et elle était partie à la première occasion.
Les troupes syriennes et russes avaient fini par chasser Daesh de Palmyre mais le site était demeuré vulnérable ; les terroristes pouvaient reprendre le territoire. C'était à ce moment qu'Yasmin reçut un appel de Pierre Beaumont, directeur des antiquités au Louvre, qui lui demanda de prendre part à un projet à Palmyre. Yasmin reçut l'autorisation de Tess de se rendre à Paris pour rejoindre un groupe de jeunes architectes, de mathématiciens et de concepteurs qui se préparaient à produire des modèles numériques des sites historiques menacés.
L'équipe archéologique s'envola pour Damas, puis voyagea jusqu'à Palmyre, dont certaines parties avaient été détruites par les Islamistes qui avaient jugé ses monuments idolâtres. Yasmin avait travaillé pendant quatre jours avec des archéologues et des techniciens à survoler les arches et les temples dévastés à l'aide d'un drone muni d'une caméra. Ils avaient un équipement dernier cri, des drones à quatre ou six rotors qui pouvaient approcher les anciens bâtiments de très près, enregistrant chaque détail structural, chaque fissure et chaque trou, pour en produire des mesures précises. Ils mirent au point des nouvelles techniques qui permettaient de conserver des images dont des scientifiques et des archéologues pourraient se servir pour recréer des modèles numérisés, permettant à des monuments et autres sites historiques menacés d'être un jour restaurés, réparés ou reconstruits. Leur travail ne se limitait pas à Palmyre. Leurs drones survolaient une vingtaine de sites historiques en Syrie et pouvaient analyser l'impact que la guerre avait eu sur des endroits tels que Ninive, Khorsabad ainsi que le temple et le palais saccagés de Nimrod.
De retour en France, le groupe avait lancé une exposition intitulée Sites Éternels : De Bâmiyân à Palmyre au Grand Palais à Paris, où plusieurs des 40.000 images prises par l'équipe servirent de base à l'exposition. En plus des images de Palmyre, de grandes photos et vidéos 3D furent projetées en spectacle multimédia, plongeant les visiteurs dans différentes époques. Le spectacle visait à attirer l'attention sur les menaces croissantes à l’encontre du patrimoine mondial.
Tout cela était bien beau mais la soif de vengeance d'Yasmin était toujours là.
12. Des Valeurs Différentes
Tess, Jake et Aara arrivèrent dans le complexe chic de Bedminster, dans le New Jersey. Un homme à la barbe soignée les accueillit à la portière de leur Range Rover. Il était impeccablement vêtu d'un costume occidental. Chemise à un col rond et sans cravate, il arborait le style prisé des Iraniens contemporains.
« Bienvenue ! Je m'appelle Fuad, assistant en chef de Monsieur Nazari. Veuillez me suivre. »
L'homme monta le long d'un grand escalier et ouvrit l'impressionnante porte d'un élégant immeuble principal. Jake laissa Tess et Aara entrer devant lui dans le spacieux atrium de la maison. Fadime ainsi qu'un petit groupe de personnes étaient déjà rassemblés à l'autre bout de la pièce.
L'assistant fit obligeamment les présentations.
« Monsieur et Madame Vickers, je vous présente Daryush Nazari, son épouse Forouzan et leur fils Karin. Je crois que vous connaissez déjà Madame Fadime al-Saadi. »
Jake salua ses hôtes d'un sobre hochement de tête, tout comme Tess et Aara. Quand les yeux de Tess et de Fadime se croisèrent, elles se retinrent tout juste d'échanger des regards meurtriers.
Daryush Nazari offrit sa main à Jake.
« Salam. Kheili Khosh Amadid. Bienvenue ! »
Jake s'était préparé à cette réunion en dépoussiérant ses connaissances du persan qu'il avait appris quand il était à la CIA.
« Halet Chetore? Comment allez-vous ? »
Nazari fut surpris et répondit : « Khoobam, mamnoon. Va shoma? Je vais très bien, merci. Et vous-même ? »
Jake demanda ensuite : «Shoma Englisi harf mizani ? Parlez-vous anglais?
— Oui, nous le parlons tous, répondit-il.
— Vous avez une superbe maison, Nazari Agha. Vous vous y plaisez ?
— En effet, oui. Nous aimons venir y passer l'été. Je crains que Téhéran ne soit une vraie chaudière en cette saison.
— J'ai été à Téhéran à plusieurs reprises pour affaires, fit part Jake. J'ai beaucoup aimé. Très belle ville. » Il pensa sage de ne pas révéler que son temps passé en Iran avait été pour des opérations secrètes pour la CIA.
Nazari fit entrer ses invités dans un grand salon magnifiquement meublé et leur offrit de s'asseoir autour d'une impressionnante table de cocktail en marbre.
« J'ai pris la liberté de nous commander du thé. »
Deux femmes en robes longues, la tête couverte, apportèrent obséquieusement les boissons.
Karin, le jeune homme, impeccablement vêtu d'un costume de couleur, sans cravate, et portant une barbiche, regarda Aara avec appréciation. Il lui sourit. La jeune fille le lui rendit avec une petite contraction de la bouche.
Nazari entama la conversation en s'adressant à Jake.
« Nous vous souhaitons la bienvenue dans notre maison et, par la grâce de Dieu, que notre disicussion sur les éventuelles fiançailles de nos chers enfants soit fructueuse. »
Jake se contenta de hocher la tête.
Fadime, contre toute attente, était vêtue sobrement d'une robe longue et ses cheveux étaient couverts. Elle prépara le terrain.
« Nous sommes réunis parce que mon frère défunt et bien-aimé Amir al-Saadi, que la paix soit avec lui, a pris des dispositions pour que sa fille Aara se marie dans une famille qui d'histoire a fait partie de notre cercle d'amis et d'alliés estimés. »
Elle fit une pause.
« Les liens entre nos familles sont anciens et à travers les temps nous avons assuré l'honneur de nos lignées en alliant soigneusement nos enfants. J'ai été chargée par mon frère de présenter sa fille pour un possible mariage avec le fils aîné de la famille Nazari, Inshallah, si Dieu le veut. »
Tess eut immédiatement en grippe le fait que l'une des personnes qu'elle appréciait le moins au monde discute de l'avenir d'Aara.
Le beau Karin se leva et s'inclina devant Aara. « Peut-être serait-il bien que je montre les jardins à Mademoiselle Aara. »
Aara, qui avait tout l'air d'un petit oiseau effrayé, ne voulait rien de moins mais Karin était persévérant. Il lui tendit la main et la courtoisie voulut qu'elle y réponde. Aara jeta un regard vers Tess qui acquiesça de la tête. La jeune fille se leva et suivit le jeune homme.
Le père Nazari prit une gorgée de thé.
« Je crois comprendre que le général al-Saadi a réservé une généreuse dot pour le mariage de sa fille. Notre religion ne l'exige pas mais je suis heureux qu'il en soit ainsi. Il est convenable qu'une femme demeure financièrement indépendante. »
L'homme n'avait manifestement aucune intention de s'adresser aux femmes présentes dans la pièce. Jake sentit Tess sur le point d'exploser, aussi prit-il l'initiative.
« Monsieur Nazari, nous comprenons que votre famille se conforme aux coutumes et pratiques islamiques. Notre préoccupation est que notre belle-fille Aara n'a pas été élevée dans cette religion. Nous aimerions discuter de la façon dont certains arrangements seront gérés dans le cas où Aara et Karin se marieraient. »
L'homme répondit à Jake.
« Je ne vois aucun problème, Monsieur Vickers. La jeune Aara se convertira à l'Islam et se conformera à nos coutumes comme il se doit. »
Tess donna instantanément voix à son irritation et ignora complètement le fait qu'en tant que femme, elle n'avait pas droit au chapitre.
« Monsieur Nazari, notre fille a été élevée en jeune femme moderne et instruite ayant des projets et des aspirations qui ne seront probablement pas compatibles avec les contraintes de la pratique islamique. Son éducation sera-t-elle un obstacle à cette union? »
Nazari parut agacé par la témérité de cette femme qui avait parlé sans permission et adressa de nouveau sa réponse à Jake.
« Comme je le disais, la jeune fille se convertira à l'Islam. Elle sera instruite sur les principes de notre religion et élèvera ses enfants comme disciples d'Allah.»
Tess n'en fut pas intimidée pour autant.
« Je crains qu'un régime religieux strict ne soit un problème pour Aara. C'est une femme moderne. »
Nazari adressa ses remarques encore une fois à Jake.
« La religion ne devrait pas poser de problème. Je suis sûr que vous savez que l'Islam est l'une des trois grandes religions abrahamiques. Comme le judaïsme et le christianisme, notre religion a été fondée par un descendant d'Abraham. Nous croyons en Moïse et en Jésus, que la paix soit avec eux, ainsi qu'en la Torah et l'Évangile originels révélés au Prophète. Nous croyons aux Dix Commandements. Nous croyons en Dieu, en ses anges, ses écritures et ses prophètes, au Jour du Jugement, au paradis et à l'enfer, ainsi qu'en la sage parole et la mesure de Dieu et au libre arbitre de l'homme. Voilà les préceptes essentiels de la foi islamique. Certains pensent que nous avons un dieu différent parce que nous utilisons le nom arabe pour désigner Dieu, qui est "Allah". Ce qui est important, c'est que nous prions tous le même Dieu, que nous soyons chrétiens, juifs ou musulmans. Nous croyons que Dieu a envoyé un messager à chaque nation avec le même message : croyez en un dieu et soyez justes les uns envers les autres. »
Tess fut impressionnée par le point de vue de Nazari mais elle était loin de renoncer.
« Vous attendriez-vous à ce qu'Aara porte une tenue musulmane et se couvre la tête ? »
Nazari continua de refuser de la regarder et il continua de répondre à Jake.
« En Iran, nous préférons que les femmes portent la tenue musulmane pour la modestie et la vertu qu'elle représente, et qui font grandement défaut à la culture occidentale. Nous ne favorisons ni le libertinage, ni la convoitise. Nos femmes sont chéries, honorées, protégées. Je suis sûre que vous approuverez que la culture occidentale contemporaine a mené à un effondrement moral, à une luxure débridée, aux comportements impudents et aux grossesses non désirées.
— Vous exagérez, Monsieur Nazari, rétorqua Tess. Vous ne voulez pas reconnaître que le vrai problème auquel nous faisons face est un choc des civilisations. Les musulmans d'aujourd'hui semblent être en guerre contre le reste du monde. Pensez aux actes épouvantables de Daesh et d'Al-Qaïda, que des dirigeants comme Assad en Syrie massacrent leur propre peuple. Erdogan en Turquie essaie de revenir en arrière en voulant remettre la seule république démocratique du Moyen-Orient sous le joug de l'Islam. Vous ne pouvez tout simplement pas appeler cela des pratiques religieuses convenables. »
Nazari apparut alors comme un homme pliant sous un lourd fardeau.
« Daesh et Al-Qaïda sont en train de détourner l'Islam. Ce sont des pécheurs. Les djihadistes de Daesh pensent qu'ils pratiquent l'Islam pur mais leur théologie est fallacieuse. Ils sortent les passages du Coran hors de son contexte historique et acceptent de façon infamante les contestables hadiths "faibles", les paroles et les actes du prophète Mahomet, et en font une interprétation outrancière. Ils violent le respect du "Peuple du Livre", les juifs, les chrétiens, les zoroastriens et préconisent le meurtre de tous ceux qui sont en désaccord avec leurs vues extrémistes, principalement les musulmans chiites. Nombres de dirigeants religieux musulmans condamnent l'État Islamique. »
Tess n'en démordit pas.
« Que pouvez-vous nous dire sur la façon dont les femmes sont traitées en Iran, Monsieur Nazari ?
— Les lois iraniennes sont encore favorables aux hommes mais les femmes ont davantage accès à l'éducation et ont un rôle plus visible dans la société, comparé à d'autres pays islamiques, à l'exception de la Turquie, qui est un état laïc. Même Masoumeh Ebtekar, notre première vice-présidente et cheffe de notre Organisation de la Protection de l'Environnement, affirme que les choses vont de mieux en mieux pour les femmes.
— Je le sais, répliqua Tess. J'ai vu une interview d'Ebtekar à la télé. Elle avait enjoint les Occidentaux à surmonter leur rejet du hijab. Eh bien, nous désapprouvons que le port du foulard par les Iraniennes soit décrété comme une loi. Nous y voyons encore le signe de l'oppression de la femme. »
Nazari eut l'air clairement agacé.
« Comparons l'Iran aux autres pays musulmans. En Arabie Saoudite, la loi interdit aux femmes de conduire et un parent masculin doit approuver presque toutes les décisions importantes de leur vie. De plus, elle ne peuvent occuper de charge publique. »
Jake, bien préparé comme d'habitude, se sentit obligé de corriger Nazari. « En fait, Nazari Agha, dix-sept femmes saoudiennes ont récemment été élues aux élections municipales. Mais d'un autre côté, le Grand Mufti du pays a déclaré que l'entrée des femmes en politique équivalait à ouvrir la porte au mal. Cela n'augure rien de bon pour l'avenir.»
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